L’impossible deuil du tout-TGV des élus locaux

Publié le 17 mars 2015 par Blanchemanche
#LGV #SNCF

Pose des rails de la future ligne LGV Tours-Paris qui permettra de relier Bordeaux et Paris en 2 heures. - Photo SIPA

Les élus s’appuient sur les grandes régions pour pousser leurs projets. L’Etat, la SNCF et la Cour des comptes les jugent « pharaoniques ».

Le contraste est frappant. Alors que, à Paris, le gouvernement et la direction de la SNCF proclament depuis plusieurs années leur intention d’en finir avec le tout-TGV, plusieurs régions restent imperméables à ce discours et s’accrochent mordicus à leurs projets de nouvelles lignes.Au niveau national, l’orientation est pourtant clairement affichée depuis le rapport en 2013 de la commission Mobilité 21, qui avait été chargée par le gouvernement de hiérarchiser les grands projets d’infrastructure. Philippe Duron, le président de la commission, l’avait indiqué dès le préambule : « La grande vitesse ferroviaire prend tout son sens sur des distances de 400 km à 1.000 km, pour les relations entre grandes métropoles […]. Pour les villes et agglomérations de moindre taille, d’autres services doivent pouvoir s’envisager autour des 200 à 220 km/h, à partir des infrastructures existantes. » Une analyse reprise à son compte par le gouvernement, et complétée par la priorité donnée aux transports de proximité. « Aujourd’hui, l’urgence n’est pas de lancer de nouveaux projets phara­oniques et déficitaires, mais d’agir pour la mobilité quotidienne des Français », avait appuyé quelques jours plus tard le Premier ministre de l’époque Jean-Marc Ayrault.En conséquence, plusieurs projets de nouvelles lignes TGV ont été étiquetés comme non prioritaires par la Commission 21. Seule la réalisation du tronçon Bordeaux-Toulouse avait été retenue pour une réalisation avant 2030. En octobre dernier, un rapport de la Cour des comptes avait enfoncé le clou, stigmatisant « un modèle porté au-delà de sa pertinence ».

Desservir les bassins d’emploi

Le discours est tout autre chez les élus, en particulier les présidents de région. Leur regroupement en janvier 2016 autour de 13 méga-régions est devenu au fil des mois un argument massue pour justifier plusieurs lignes.René Souchon, président du Conseil régional d’Auvergne, juge la ligne POCL (Paris - Orléans - Clermont-Ferrand) indispensable pour que les grands bassins d’emploi soient desservis à grande vitesse. Ce qui suppose d’éviter le cabotage, comme le préconise la Cour des comptes. « Chaque élu voudrait que la LGV passe chez lui et que le TGV s’y arrête. Dans ces conditions, le projet perd toute sa pertinence », tempête-t-il. Ce projet réduirait de plus d’un tiers (2 h au lieu de 3 h 15) le temps de parcours entre Clermont-Ferrand et Paris. Ce qui faciliterait l’aller-retour dans la journée. « Ce projet devient encore plus pertinent avec la nouvelle région », relève René Souchon. Clermont-Ferrand, qui, au sein de la future région Auvergne-RhôneAlpes, se voit comme « la métropole d’équilibre à l’ouest de Lyon, en symétrie avec ce qu’incarne Grenoble à l’est », a besoin d’améliorer sa liaison avec Lyon. Elle devrait y gagner en temps de trajet (1 h 35 au lieu de 2 h 25) et en capacité (avant même la fusion des régions, la ligne est saturée).

Relier les deux métropoles

Autre exemple, le projet Toulouse-Narbonne, rejeté par la commission Duron, continue d’être promu par le président de Midi-Pyrénées, Martin Malvy. Lequel estime qu’il sera une priorité pour la nouvelle grande région résultant de la fusion avec Languedoc-Roussillon. Pour lui, ce sera un sujet lors de la révision du contrat de plan Etat-région après 2017). Philippe Saurel, maire de Montpellier, plaide, lui, pour une liaison à grande vitesse entre Toulouse et Montpellier (inexistante à ce jour sur tout le linéaire), « pour pouvoir relier les deux métropoles en 1 h 15, au lieu de plus de 2 heures  ».

L’enjeu des dessertes

La mobilisation des élus locaux sur le TGV ne se limite pas aux lignes nouvelles, mais concerne aussi les fréquences de desserte. Une grande bataille s’est ouverte ces dernières semaines sur le financement de la ligne Tours-Bordeaux, en construction, auquel participent 58 collectivités locales. Une dizaine seulement sont à jour de leur cotisation, la région Poitou-Charentes n’ayant même jamais versé un seul euro ! Après l’agglomération de Châtellerault (Vienne), le département de la Vienne a décidé, il y a peu, de suspendre sa participation au financement de la LGV Tours-Bordeaux. Soit 8 millions d’euros.Fin janvier, la Charente avait suspendu sa participation au finan­cement de la LGV au nom d’une desserte insuffisante de la ville d’Angoulême. Le point de discorde repose à la fois sur le temps de trajet entre Paris et La Rochelle, via Niort, et sur le nombre de trains rapides pour relier les deux villes en 2 h 27 au lieu de 2 h 50. « Bientôt Bordeaux et Nantes seront à 2 heures de Paris. Si notre temps de trajet n’est pas réduit, nous nous retrouverons totalement enclavés. Il s’agit là d’une question de développement de territoire et de concurrence entre les territoires », selon le député-maire divers gauche de La Rochelle, Jean-François Fountaine. La SNCF anticipe une demande faible. « Si l’offre est meilleure, la demande suivra », dit Jean-François Fountaine. La SNCF et le gouvernement ont nommé un médiateur, Jean Auroux. Les travaux de la ligne LGV Sud Europe Atlantique doivent s’achever à la fin 2016 pour une mise en service prévue à la mi-2017. Montpellier-Perpignan menacé par ToulouseLe projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (150 kilomètres), aujourd’hui au stade des études préalables à l’enquête publique, est un serpent de mer languedocien, promu depuis vingt-cinq ans par les élus successifs. Le coût de l’infrastructure est évalué à 6,5 milliards d’euros. Projet impossible à financer pour certains observateurs, qui soulignent qu’il a fallu huit ans pour boucler le tour de table financier du seul contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier (2 milliards d’euros), en cours de travaux et prévu pour fin 2017. Comme les autres projets de ligne nouvelle (à l’exception de Bordeaux-Toulouse), la LNMP n’a pas été retenue par la commission Duron, en 2013. Elle est aussi dans le viseur de la Cour des comptes. Avant le lancement de l’enquête publique, prévue pour la fin 2016, Damien Alary, président (PS) de la région Languedoc-Roussillon, demande au gouvernement la nomination d’un « Monsieur Financement », pour mettre les collectivités autour de la table. Mais la future grande région, qui aura très probablement Toulouse comme capitale, pourrait être plus revendicative pour le projet Bordeaux-Toulouse que pour Montpellier-Perpignan. Poitiers-Limoges sème la discordeLa déclaration d’utilité publique de la LGV Poitiers-Limoges le 10 janvier a déclenché l’ire des opposants. Parmi eux, certains élus locaux à qui on refuse le doublement de la nationale 147, les écologistes, les agriculteurs qui défendent leurs terres , et la masse des pourfendeurs de la dépense publique. Pourtant, Alain Claeys, député-maire (PS) de Poitiers, et Jean-François Macaire, président (PS) de la région Poitou-Charentes, protègent mordicus ces 131 km à 2 milliards d’euros voulus par les élus du Limousin. « Elle était dans le Grenelle », rappelle Alain Claeys. La FNAUT a déposé un recours contre ce « TGV des Corréziens », référence au couple Chirac et à François Hollande. Grâce à lui, Brive serait à 3 h de Paris et Limoges à 2 h. Mais, ni la Cour des comptes, ni la commission Mobilité 21, qui préconise une rénovation de la ligne classique, et ni l’Europe n’en veulent. « J’ai interrogé Bruxelles. Aucun financement européen n’est prévu », s’étrangle Gil Averous, maire (UMP) de Châteauroux (Indre), qui craint que sa ville ne devienne un cul-de-sac si Poitiers-Limoges se réalisait. Quatre régions promeuvent la ligne POCLLe 4 février, le projet POCL (Paris - Orléans - Clermont-Ferrand - Lyon) a franchi l’étape préliminaire qui suit le débat public. Le comité de pilotage composé des cofinanceurs des études et de la concertation (les conseils régionaux Auvergne, Bourgogne, Centre, Ile-de-France et Rhône-Alpes, SNCF Réseau et l’Etat) a conclu deux années d’ateliers « techniques et citoyens ». Ils ont comparé les deux tracés – ouest et médian – retenus à l’issue du débat public (sur quatre proposés au départ). « Le scénario médian apparaît le plus adapté pour atteindre le double objectif d’amélioration de l’accessibilité des territoires du grand centre de la France et de doublement de la ligne existante Paris-Lyon », concluait, à l’issue de cette réunion, Michel Fuzeau, préfet de région Auvergne et coordinateur de ce projet. A l’exception de la région Centre, les assemblées régionales s’étaient prononcées pour ce scénario. A coût équivalent (12,9 milliards d’euros aux conditions économiques de 2010), le tracé médian devrait attirer plus de voyageurs. Il permet un auto­financement (estimé à partir des espérances de péage versé par les entreprises ferroviaires) plus important : 3,3 milliards d’euros au lieu de 2,2 milliards pour le tracé ouest, réduisant d’autant le besoin en subventions publiques. Le dossier est revenu au ministère des Transports, qui doit préparer l’enquête publique : à l’exception du Centre, les régions ont inscrit l’étude préalable à leur prochain contrat de plan Etat-région.Hubert Vialatte / Correspondant à MontpellierSylvie Jolivet / Correspondante à Clermont-FerrandStephane Frachet / Correspondant à Tours et Lionel Steinmann / Journaliste | Le 17/03 
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