Interwiew de Dominique Nugues par Alex Tihypir. (2eme partie)
La transmission de l'histoire de la Shoah par le biais de l'art.
A.Tihypir : Pourquoi cette volonté de faire de la Shoah, le centre de votre travail ?
D.Nugues : Cela n'a pas toujours été le cas. J'ai eu d'autres centres d'intérèt.
Mais tous avaient à voir avec l'histoire, vue du coté de ceux et celles qui la subissent.
Vous savez, les choses s'imposent, on ne choisit pas vraiment en matière de travail artistique.
Toutefois je peux dire ceci :
1/ Né dans une ville dévastée par les bombardements de 44, j'étais certainement prédisposé à m'intéresser à la seconde guerre mondiale.
2/ En 1962, j'avais 10 ans et le procès Eichmann m'a profondément marqué, c'est là que j'ai entendu ce que ce monstre froid avait fait, lui et tout le système nazi. Je crois que ma perception
physique de la présence du Mal s'est ancrée à ce moment là. Si l'on ne peut-être sûr de l'existence de Dieu, on peut être sûr de celle du mal. Dans ce cas le bien consiste à minima à lutter contre
le mal.
Je ne crois pas, je ne peux ni ne veux croire que les enfants des ghettos juifs ont eu le même sort post-mortem que leurs bourreaux.
3/ En 1967, la guerre des 6 Jours qui opposait Israel au monde Arabe a eu un grand retentissement. J'avais 15 ans, dans mon coin je pris position pour Israel, de manière inconditionnelle et je n'ai
pas changé depuis.
4/ Le Film de Claude Lanzmannn, Shoah, que j'ai vu intégralement en salle à sa sortie, m'a sidéré. Tant du point de vue du contenu que de la façon de raconter.
Je tiens ce film pour le plus grand film jamais réalisé y compris sur le plan artistique.
5/ J'ai beaucoup lu, regardé des films, j'ai travaillé avec des gens qui étaient proches de mes préoccupations.
Tout cela, tous ces éléments ont continué leur chemin. Je n'étais jamais allé en Pologne. Je m'y suis rendu en 2007. J'ai fait une sorte de pélérinage à Varsovie, à Lublin et à Majdanek.
Tout s'est alors concrétisé, sédimenté. Des choses et des formes que je portais depuis longtemps ont surgi et ont pris corps.
A.Tihypir : Redonner un visage à des victimes de la Shoah, n'est-il pas indécent?
D.Nugues : Je ne le pense pas. Sinon je n'aurais pas mener ce travail au point où il en est.
Mais il ne s'agit pas de victimes identifiées. Il s'agit de figures symboliques. Elles n'ont pas de nom. Que des noms génériques.
Dérrière ces figures chacun peut placer ce qu'il souhaite, ce qu'il ressent. Ces figures, ces visages sont un réceptacle d'émotions, de souvenirs, un support à une mémoire.
Les nazis ont voulu exterminer les juifs, un peuple, chaque personne de ce peuple. Ils ne voulaient laisser aucune trace de leur forfait. Ils ont essayé de tout anéantir.
Tout. Alors moi, le plus modestement et le plus humblement possible, je tente de faire revenir à la surface les échos de ces vies qui par millions ont été anéanties.
C'est une démarche exclusivement artistique. C'est la part que l'art du XXieme Siècle peut prendre dans cet infini travail qui consiste à dire et à redire ceci :
Ce Désastre a eu lieu. La Shoah a eu lieu.
N'oublions jamais les victimes, les personnes. Pour elles-mêmes.
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