« Mon intérêt pour celui-ci était difficile à définir. Le tort que Clark m’avait causé n’était pas suffisamment grave pour m’inspirer un désir de vengeance, mais je ne puis dire que je lui souhaitais beaucoup de bien. Outre le meurtre, il avait quantité de compte à rendre, et son procès risquait de lui valoir de nombreuses condamnations même s’il échappait à la peine capitale. Spectacle aussi gratifiant qu’intéressant. J’avais espoir qu’il m’instruise et m’endurcisse. »
Et pourtant le journaliste Walter Kirn aurait dû se méfier, lors de son premier contact téléphonique avec Karl. Une demande complètement surréaliste, emmener en voiture, du Montana jusqu’à New York, une chienne estropiée qui se déplace péniblement sur un fauteuil roulant fixé sur son train arrière. Mais bon on ne résiste pas à la demande d’un héritier Rockefeller. Surtout si l’on est un petit gars du Montana qui malgré des études solides, Princeton et Oxford, n’a pu observer le monde des très, très riches que de loin. Mais les milliardaires ont de telles lubies, et devenir l’ami d’un Rockefeller vaut bien un voyage de trois jours avec une chienne setter incontinente comme passagère.
« Mauvais sang ne saurait mentir » décrit une amitié toxique, qui va durer de 1998 en 2008, entre le romancier et Christian Gerharsreiter, alias Christopher Chichester, aristocrate anglais, alias Christopher Crowe, producteur à succès de la côte Est, escroc notoire, menteur et mythomane, recherché pour meurtre depuis 1994. Bienvenue chez les dingues, la vie de Karl est une suite ininterrompue de name dropping : il vous glisse le téléphone perso de George Bush, son voisin s’appelle Salinger, le chancelier Kohl a passé trois jour dans sa maison de Cape Cod, c’est pour cela qu’il n’a pas pu recevoir Britney Spears. Au procès, les témoins ont tous des anecdotes énormes et incroyables à raconter et qu’ils ont tous gobés, « pourquoi tant de crédulité ? » demande le juge : « parce qu’il était distrayant » répondent-ils.
Plongé au cœur du mensonge, Walter Kirn décortique le rêve américain, nous parle de notre besoin de reconnaissance et de notre fascination pour la puissance et la gloire. En décrivant un menteur professionnel en exercice sur dix années, l’auteur se raconte, lui-même, qui malgré ses réussites de romancier à succès adapté à Hollywood, restait au fond qu’un petit gars du Montana que l’on ne voyait pas.
Exercice intime, introspectif et universel, comme pouvait l’être « L’adversaire » d’Emmanuel Carrère, Kirn nous livre un sacré bouquin qui ferait un sacré film.
Chronique Michel D