Concrètement, quelles sont les implications de la nouvelle législation canadienne à l’égard du droit d’auteur sur Internet? Un pirate qui privilégie le streaming au téléchargement pair-à-pair est-il immunisé au niveau juridique?
En janvier 2015, les dernières dispositions de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur sont entrées en vigueur. Ces nouvelles dispositions ont notamment eu pour effet d’instaurer un système d’avis obligeant les fournisseurs de services Internet (FSI)1 à coopérer avec les ayants droit pour tenter d’enrayer le piratage.
Le système d’avis
Concrètement, lorsqu’un ayant droit constatera qu’une de ses œuvres fait l’objet de piratage, celui-ci pourra transmettre un avis au FSI en indiquant l’adresse IP de l’utilisateur soupçonné. Le FSI aura alors l’obligation légale de transmettre cet avis à l’utilisateur concerné. Notons que ce système permet de préserver l’anonymat relatif de l’utilisateur, puisque seul le FSI connaîtra son identité et ses coordonnées.
La réception d’un avis d’un FSI est en soi une mauvaise nouvelle, même si celui-ci n’entraîne pas de conséquences à court terme.
Les avis transmis par les FSI ne sont pas des mises en demeure et ne permettent pas à l’ayant droit de réclamer un dédommagement. Il s’agit plutôt d’un avis informatif, mentionnant qu’une œuvre aurait été téléchargée illégalement et demandant que cesse toute activité contrevenant à la Loi sur le droit d’auteur. Évidemment, si l’utilisateur ne coopère pas, il est possible que l’ayant droit entreprenne alors de véritables procédures judiciaires afin de forcer le FSI à divulguer l’identité du pirate présumé. En cas de succès, l’utilisateur démasqué pourrait alors recevoir une mise en demeure en bonne et due forme.
La réception d’un avis d’un FSI est donc une mauvaise nouvelle, même si celui-ci n’entraîne pas de conséquences à court terme.
La question du streaming
En réaction à l’entrée en vigueur de ce système d’avis et en raison de la répression exercée par les ayants droit en matière de piratage, les internautes pourraient être tentés de délaisser le téléchargement pair-à-pair pour se tourner vers la lecture en flux continu (ou streaming). En effet, le streaming procure un certain anonymat aux utilisateurs puisque ceux-ci n’ont pas à télécharger ou à partager de fichier Torrent. Or, c’est en marquant des fichiers Torrent à l’aide d’une balise (ou code) que les ayants droit parviennent à déterminer qu’une œuvre a été distribuée et téléchargée illégalement.
Le streaming rend donc la tâche beaucoup plus difficile aux ayants droit qui voudraient faire respecter leurs droits d’auteur, puisqu’il est presque impossible de retracer un éventuel téléchargement illégal de leurs œuvres.
D’ailleurs, en raison de la nature particulière du streaming, certains juristes considèrent qu’il pourrait même s’agir d’une alternative légale au piratage. C’est notamment l’avis de l’avocat Michæl Geist, qui affirmait en janvier dernier que le fait de visionner un film en streaming serait légal au Canada parce qu’une telle pratique n’occasionne pas de reproduction illégale de l’œuvre.
Personnellement, je crois que ce raisonnement est inexact.
En effet, la Loi interdit toute reproduction d’une œuvre sans le consentement de son auteur. Or, lorsqu’on accède à une œuvre par streaming, une copie temporaire de cette dernière est sauvegardée dans la mémoire cache de l’ordinateur. Techniquement, il y a donc une reproduction de l’œuvre même si l’utilisateur n’en a pas forcément conscience.
Puisque le streaming occasionne une reproduction de l’œuvre sans le consentement de son auteur, il devrait donc être considéré illégal au sens de la Loi. Par contre, certains avocats dont Michæl Geist sont d’avis que ce type de reproduction n’est rien de plus qu’une nécessité technique. Or, la Loi prévoit qu’une reproduction rendue nécessaire par une contrainte technique ne constitue pas une violation du droit d’auteur, à condition que cette contrainte technique n’ait pas pour objectif de permettre la violation du droit d’auteur.
C’est donc ici que le bât blesse.
En effet, dans le cas du streaming, la contrainte technique qui oblige une reproduction temporaire de l’œuvre a clairement pour objectif de permettre le piratage. En visionnant une œuvre par streaming, l’utilisateur pose un acte concret dans le but d’accéder à cette œuvre sans verser de rémunération à son auteur. Il s’agit donc d’un acte délibéré qui est bien loin du téléchargement passif entériné par la Cour de justice de l’Union européenne en matière de diffusion de coupures de journaux sur Internet.
Par conséquent, je suis d’avis que cette exception prévue dans la Loi ne devrait pas s’appliquer en l’espèce et que le streaming devrait être considéré comme illégal au Canada.
Le cas particulier de Popcorn Time
Un mot en terminant sur la plateforme Popcorn Time, véritable Netflix illicite, qui permet de visionner gratuitement des films et des séries télé. Depuis son lancement, Popcorn Time a plusieurs fois été contrainte de fermer et de déplacer ses activités afin de se protéger des autorités. Malgré tout, la plateforme ne cesse de gagner en popularité en raison de sa grande convivialité.
Il faut toutefois savoir que Popcorn Time n’est pas véritablement une plateforme de streaming. En effet, elle fonctionne plutôt sur le modèle du pair-à-pair, puisque l’utilisateur doit télécharger un fichier torrent afin de lire le vidéo en flux continu. Puisque le tout se fait de façon transparente, la plupart des utilisateurs n’en sont pas conscients et ont l’impression de simplement faire du streaming, comme sur Netflix.
Or, puisqu’un fichier Torrent est bien téléchargé par l’utilisateur, cela signifie que l’exception mentionnée précédemment ne pourrait pas s’appliquer à Popcorn Time. Le «streaming» sur Popcorn Time est donc définitivement illégal au Canada.
La meilleure alternative au piratage, c’est certainement de se procurer légalement une copie des œuvres!
Pire encore, l’utilisation de Popcorn Time est non seulement illégale, mais elle est également très peu sécuritaire. En effet, puisque les utilisateurs téléchargent et distribuent des fichiers Torrent, ils peuvent par conséquent être facilement retracés par les ayants droit.
Évidemment, certaines versions de Popcorn Time comprennent un VPN intégré, qui a pour fonction de brouiller la piste des utilisateurs. Pour bénéficier de cette fonctionnalité, les utilisateurs doivent toutefois s’abonner à une version payante de la plateforme et donc divulguer des informations bancaires qui pourraient également compromettre leur anonymat.
Bref, la meilleure alternative au piratage, c’est certainement de se procurer légalement une copie des œuvres!
- Le terme «fournisseur de services Internet» est souvent préféré au terme «fournisseur d’accès Internet» (ou FAI) dans le milieu juridique canadien puisqu’il est plus conforme à la Loi sur le droit d’auteur.