Magazine Culture
Auteur:Olivier Maulin Titre Original: Le Bocage à la nage Date de Parution : 19 mars 2015 Éditeur :Pocket ISBN: 978-2266246767 Nombre de pages : 240 Prix : 6,80 €
Commandez: Le Bocage à la nage
Quatrième de couverture : Pas une vente en six mois ! On lui confie le département le plus âgé de France, et Berthelot n'est pas fichu de trouver un seul client pour ses monte-escaliers électriques... Licencié pour cause de nullité commerciale, il prend alors le maquis. Le maquis ? Le bocage, oui. Autour du château du Haut-Plessis, ruine mayennaise, s'est constituée une communauté baroque de clochards célestes, nudistes libertariens et chouettes copains. Le paradis. Jusqu'à ce que les services secrets viennent chatouiller tout ce petit monde. Il y avait pourtant un panneau à l'entrée de la propriété : « Prière de ne pas nous emmerder. » Il fallait le prendre au sérieux...
Extrait Philippe Berthelot râlait tout seul dans sa voiture garée sur le bas-côté de la route, à un croisement, juste après la sortie d'un village. Sa carte routière était dépliée sur le volant, le moteur tournait, il n'arrivait pas à se décider. A gauche, c'était Saint-Elme, il ne savait plus s'il y avait déjà été ou non. A droite, un hameau, probablement deux ou trois fermes éparpillées. Il voulait éviter les fermes, il s'y faisait recevoir comme un malpropre. Des monte-escaliers pour les fermiers ! Perte de temps. Sans compter les frais d'essence. S'il était plus organisé, aussi. II avait bien un petit calepin sur lequel il notait les villages visités, mais il oubliait une fois sur deux de le tenir à jour. Et cette façon anarchique qu'il avait de quadriller le pays... Son collègue «Centre» lui avait montré ses cartes lors de la dernière réunion trimestrielle de Top Indépendance. Des IGN au 1/25 000, quand lui n'utilisait que les cartes départementales. Les villages et les hameaux étaient surlignés au Stabilo Boss fluo de différentes couleurs et formaient comme des lignes de front. Et ses carnets ! Une page par jour et par village, la date, le nom des rues visitées, le numéro des maisons, et des tas de notes ! Ah, ça, il était fier de sa méthode, le collègue «Centre» ! Comment il s'appelait déjà ? Arnaud Gérard ? Gérard Arnaud ? Voilà, c'est ça, Gérard Arnaud. Arnaud le blaireau ! Il se prenait pour le caïd des représentants. «Un petit coup d'oeil à la fenêtre et je sais tout de suite à qui j'ai affaire», qu'il pérorait. Berthelot l'aurait giflé. Cet imbécile avait les meilleurs résultats au niveau national. Il balança la carte ouverte sur le siège passager, enclencha la première vitesse et prit la route de Saint-Elme. Il imitait son collègue à présent, parlait tout seul en grimaçant : «Un coup d'oeil à la fenêtre et je sais à qui j'ai affaire...» Il secouait la tête. «Blaireau !» cria-t-il. Il riait méchamment, sentait qu'il se détendait. Et voilà qu'il avait envie d'une cigarette. Il évitait généralement de fumer pendant le boulot. Dans l'habitacle, les vêtements s'imprègnent de tabac, sans parler de l'haleine. Certains représentants sucent des bonbons mentholés avant les rendez-vous. D'autres se vaporisent du spray dans la bouche. Tous des blaireaux ! Il enfonça l'allume-cigare, baissa la fenêtre, colla une cigarette entre ses lèvres. Il roulait entre deux champs de blé, en paysage ouvert. À l'est, le ciel était d'un bleu lavasse, mais de gros nuages gris arrivaient par l'ouest. Au loin, il distinguait un petit bosquet et deux ou trois maisons isolées. Des fermes ? Impossible à savoir. Une petite route y conduisait. Il décida de l'emprunter. Elle était plus basse que celle qu'il quittait, si bien que l'horizon lui fut bouché par les blés. Elle était aussi plus étroite et constellée de nids-de-poule. Il ralentit l'allure pour ne pas abîmer sa voiture, croisa un calvaire. Parfois, il se demandait quel sens avait sa vie. A droite, le champ de blé laissa la place à un pré au milieu duquel était planté un arbre. Cinq ou six vaches blanches et crottées, couchées dans la gadoue, ruminaient bêtement. Le premier bâtiment était bien une ferme, mais le second était une maison individuelle qui sentait le retraité. Il gara sa voiture sur le bas-côté, écrasa sa cigarette dans le cendrier, but une gorgée d'eau minérale tiède avant de sortir du véhicule, sa mallette à la main.