Studio Visit | Thomas Tronel Gauthier

Publié le 16 mars 2015 par Roughdreams @popsurrealisme

FG : Peux-tu retracer pour nos lecteurs, en quelques mots, ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?

Thomas Tronel-Gauthier : Je suis aujourd’hui installé dans mon atelier à Paris depuis 7 ans. Auparavant j’ai été formé à l’Ecole Supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg pendant cinq ans… mais aussi un peu à l’Accademia di Belle Arti di Bologna en Italie… mais aussi un peu dans les ateliers de décoration de l’Opéra National de Paris… mais aussi un peu dans les champs cultivés d’un grand-père maraicher en Picardie, et les jardins fleuris d’une autre autre grand-mère dans le Lot.

On trouve dans ton atelier un certain nombre de spécimens minéraux ou naturels : perles grises, squelettes d’oursins, pierres volcaniques… Quelle est leur histoire et à quoi les destines-tu ?

La plupart de ces objets ou matériaux ont été collectés par-ci par-là au grès de mes déplacements et voyages. Ils sont un peu la synthèse et l’inventaire des environnements et paysages dans lesquels j’ai évolué et continue d’évoluer. Ce sont des éléments qui ont retenu mon attention de par leurs qualités plastiques, leur structure, leur banalité ou bien leur rareté…

La plupart du temps ce sont de simples rencontres dans le sens où je n’anticipe pas nécessairement ces collectes. Ces matériaux viennent ensuite rejoindre les strates de l’atelier et attendent éventuellement de venir se connecter à mon travail plastique en s’y intégrant directement, se transformant ou bien juste en demeurant source d’inspiration.

On trouve ainsi des éponges de mer géantes rapportées par une amie d’un séjour dans les îles grecques, différentes pierres volcaniques ramenées des îles marquises en Polynésie (parmi les autres graines, coquillages, dents de requin, fibres de cocotiers, bois exotiques…), des pierres calcaires blanches et rondes ramassées au pied des falaises d’Ault, d’autres ferrugineuses collectées dans le lit d’une rivière dans le Gard, une centaine de squelettes d’oursins glanés après les grandes marées du solstice en mer du Nord, des feuilles d’or martelées à la main que l’on m’a ramenées de Birmanie, un champignon d’arbre que j’ai laissé séché, des coquillages et minéraux de toutes provenances. Mais aussi du baume du tigre vert émeraude du Rajasthan, des ocres en provenance des carrières du Roussillon…

Tout cela constitue un environnement composé, offrant un abécédaire de formes, de matières et de couleurs dans lesquels je viens piocher à un moment ou un autre.

Parle-nous de ta série des « Oracles », constituée pour l’instant de 3 pièces, mais qui est destinée à s’agrandir encore ?

L’idée des oracles est née lors de mon séjour début 2012 aux îles marquises. J’ai été frappé sur place par l’impact sanitaire et le tabou que représente l’histoire encore très récente et polémique des essais nucléaires effectués par le gouvernement français dans les atolls de Polynésie jusqu’en 1996. Cela reste un sujet très difficile à aborder sur place avec les populations tant il divise et  affecte. Je voulais donc traiter de l’impact de ces essais nucléaires sur l’environnement naturel, abordant ainsi de manière indirecte ses répercussions sur l’humain. Le projet de départ imaginé sur place différait quelque peu et aurait dû se réaliser avec des bois d’essences locales (bois de rose, santal, manguier…), mais finalement je me suis retourné vers la mer lorsqu’au moment du retour en métropole une dame marquisienne m’a offert ces nacres brutes non travaillées qu’elle avait collectées et rapportées des atolls des Tuamotu.

J’ai été très touché par ce présent, mais aussi par ces organismes vivants, symboles importants de la culture polynésienne et de sa richesse économique puisque ce sont ces mêmes nacres qui produisent les perles noires endémiques de cette région du pacifique et les plus prisées dans le secteur de la bijouterie. Le terme anglais pour désigner les nacres « Mother of pearl » rend d’ailleurs élégamment hommage à ce lien. Ces coquillages dont la croissance se fait comme celle des arbres par addition et juxtaposition de strates (calcaires ici) au fil des ans me semblaient donc intimement liés à l’histoire des hommes de ces contrées. M’est alors venue l’idée d’utiliser la technique traditionnelle polynésienne de la gravure sur nacre pour venir ancrer des motifs de champignons nucléaires dans les couches polychromes et remonter ainsi dans l’histoire de l’animal et de l’homme. Le scintillement et l’aspect irisé exceptionnel des nacres m’ont ensuite évoqué l’hologramme, l’apparition me conduisant à intituler la série : « Les Oracles », ce qui est aussi une volonté d’inscrire cette réflexion dans une temporalité plus vaste.

Tu dis considérer tes œuvres sur toile comme des prolongements de ta pratique sculpturale. Peux-tu préciser tes intentions et décrire ces œuvres, peut-être ?

Effectivement, de la même façon que je revendique mon travail d’images photographiques et vidéo comme relevant d’un même geste de sculpteur, ce travail de peinture l’est peut être encore plus précisément puisqu’il rend compte d’un dialogue incessant au fil des années entre la peinture et la sculpture. Rétrospectivement et à titre biographique il est intéressant également de préciser que j’ai entamé mes études d’art avec une pratique de peinture à l’encaustique. Rapidement cette manipulation de la cire mélangée au pigment m’a conduit au constat que j’avais peu d’intérêt pour ce qui allait figurer sur la toile, mais au contraire ce qui précédait cela, cette cuisine des matériaux faisant intervenir le feu. C’est donc ce regard à la peinture qui m’a conduit rapidement à cette passion pour la sculpture.

Depuis 2009 je répète un même geste simple et primordial, qui est à la fois un héritage du Rorschach et une réminiscence de l’enfance : contraindre de la peinture entre deux surfaces, plier puis déplier, et observer. Ce processus humble et presque universel m’a dès lors fasciné non pas pour les dessins qu’il produit mais pour les motifs arborescents qu’il génère à la surface de la matière arrachée.
De ces observations soignées, de l’empirisme, est ensuite née une technique, peaufinée au fil des années, permettant de trouver un point d’équilibre entre l’aléa du processus naturel et le geste très chorégraphié qui le contraint. Cela donne aujourd’hui naissance à de grandes toiles dont la surface est recouverte d’une forme proche de la coulée dont vient ensuite s’extraire en relief des arborescences fractaliennes partant de la base du tableau puis venant s’échouer en d’infimes ramifications.

Ce travail d’abord achrome puis monochrome noir s’est ensuite vu se décliner en 2013 et 2014 dans des couleurs emblématiques associées aux voyages et contextes de production : bleu outremer et vert de chrome.

Au quotidien, où puises-tu ton inspiration pour tes créations ?

Dans la nature, dans les voyages … et dans la ville aussi. La ville nourrit mes envies de nature.
Dans la cuisine aussi. C’est une discipline qui laisse une grande place aux sens. Le toucher, l’odorat le goût et la vue… La façon dont les matériaux réagissent aux manipulations culinaires, les changements de couleurs et de textures…

Dans les arts plus globalement, et tout particulièrement dans la musique.

En dehors de ton travail de plasticien, tu es également musicien. Ce domaine occupe t-il une place particulière à tes yeux ? Ecoutes-tu de la musique pendant que tu crées, par exemple ?

Oui une place particulière depuis très longtemps. La musique m’a toujours fasciné, passionné et inspiré de par son accessibilité, sa faculté à toucher l’âme et de par son histoire, ses fulgurantes évolutions, la multitude de ses formes et instruments de production… C’est un art dont le spectre est très large, et qui bénéficie d’une immense popularité.

Pour ma part j’ai commencé la pratique de la harpe au conservatoire à Paris dès l’âge de sept ans, sans connaitre au préalable grand-chose de cet instrument. Cela m’est venu comme une lubie, j’étais soudainement attiré par sa plasticité et je l’associais à la «magie». Depuis je n’ai jamais vraiment cessé d’en jouer et cela fait aujourd’hui 25 ans que je joue de cet instrument même si je m’intéresse aujourd’hui davantage plus à son approche expérimentale qu’académique. J’ai amplifié une petite harpe celtique troubadour que j’ai reliée à mon ancien ampli de guitare électrique (autre instrument débuté à l’adolescence) et m’amuse à improviser avec une « Loop Station » qui permet d’enregistrer et diffuser en direct des boucles musicales. Mais j’ai toujours su et décidé que cette pratique devait rester un hobby, ce qui me procure beaucoup de liberté et de plaisir dans son exercice.

Par ailleurs, j’écoute effectivement beaucoup de musique lorsque je travaille à l’atelier et je dirai même presque de façon permanente à la maison puisque c’est une des premières choses que je fais le matin et il m’arrive souvent de me coucher en musique aussi. J’adore également voir les artistes sur scène, la spontanéité du live, l’humanité qui s’en dégage, la performance physique, la réceptivité immédiate du public et l’interaction qu’elle génère… J’ai un lien fort avec les instruments mais aussi une fascination particulière pour les voix les plus atypiques et expressives. J’aime de nombreux genres musicaux (pop, world, rock, électronique) et il y a des artistes que je suis depuis plus de 15 ans comme Björk, Radiohead ou PJ Harvey et d’autres découverts plus tardivement dont j’aime l’écriture comme Jenny Wilson, Wildbirds & Peacedrums,

Géologie, fossilisations, arborescences, matérialité des éléments. De série en série, on perçoit dans ton travail, plus qu’une fascination pour la nature, une certaine conscience environnementale. En tant qu’artiste, te sens-tu une responsabilité de transmettre des messages engagés ?

C’est surtout en tant que citoyen je sens cette responsabilité de transmettre des messages engagés. Être artiste oui c’est aussi avoir un autre langage à disposition pour communiquer différemment c’est aussi un positionnement face à un public. Je pense qu’il y a à ce niveau une responsabilité et un devoir des artistes envers la société. Après, je ne suis pas dans la frontalité du discours politique, et je ne suis pas là pour asséner des vérités, je préfère soulever discrètement des questions et c’est tant mieux si mes convictions personnelles surgissent de mes sculptures. Je cherche et j’interroge, j’essaye de ne pas apporter de réponses toute faites.

Depuis quelques années, tu as eu l’occasion de faire plusieurs résidences de création en France et à l’étranger. Quelle a pu être l’influence de ces expériences sur la progression de ton travail ?

Partir en résidence de création n’était pas pour moi au sortir de l’école d’art une priorité. Il y avait trop de choses de la vie professionnelle à apprendre sur le tas, il fallait subvenir à mes différents besoins, trouver un atelier, s’insérer dans le « milieu », l’observer pour le comprendre. Je ne voyais pas l’intérêt d’aller m’isoler au moment où il me semblait le plus urgent de me connecter. Ce n’est que plus tard, trois ans après que j’ai commencé à postuler à quelques programmes de résidences. J’ai alors compris qu’ils représentaient une étape importante au développement du début de carrière d’un artiste, même si dans les centaines d’appels à candidature que l’on voit défiler, il faut bien dire aussi qu’il y a à boire et à manger, et les conditions ne sont pas toujours les plus honnêtes… Les résidences sont souvent des lieux de confort et d’inconfort à la fois. Le confort c’est de pouvoir s’extraire de ses préoccupations quotidiennes, d’oublier le temps de quelques mois sa précarité financière (lorsqu’il y a un soutien financier fourni par la structure accueillante), accéder à de nouveaux espaces, plus vastes, mieux équipés où tout est mis en œuvre pour tenter de satisfaire les besoins de la création. En revanche l’autre pendant de la médaille est qu’on s’y sent souvent très seul et isolé et qu’il y a souvent une pression forte exercée en vue des enjeux de productions et de rentabilité (exposition de résidence, édition de catalogues…). Je ne sais pas si toutes les personnalités ont la faculté de s’adapter à ces « cocons » éphémères, je crois que parfois il a des situations de rejet…

Pour ma part la première expérience fut la plus extrême et la plus contrastée également. Je suis parti début 2012 après plus d’un an de préparation, pour une résidence de trois mois à Hiva Oa (îles Marquises, Polynésie Française), une île de 2000 habitants située à l’autre bout de nôtre planète, en plein milieu de l’océan Pacifique et à 7000 km des premières côtes des continents.

Plus tard et moins exotique j’ai séjourné trois mois dans un des plus gros lycées agricoles de France à Yvetôt (Haute-Normandie), pour une immersion en milieu rural et une rencontre avec nos futurs jeunes agriculteurs auprès desquels j’effectuais également des interventions scolaires.

A chaque expérience, une immersion différente, un nouvel environnement à appréhender et à assimiler. Une confrontation à de nouvelles villes, paysages, climats,  contextes sociaux et humains. Tout cela vient bouleverser le quotidien tout en renouvelant les sujets de réflexion et d’inspiration. Lorsque je n’ai pas l’opportunité d’une résidence, je fais souvent en sorte de voyager en individuel pour provoquer ces rencontres et bouleversements. Je crois que l’artiste doit pouvoir rester le plus nomade possible pour accumuler du « savoir »  et faire évoluer son travail.

Si tu pouvais te faufiler dans l’atelier d’un autre artiste (ancien ou contemporain), qui choisirais-tu et pour quelle raison ?

La difficile question… je n’ai pas le fantasme de l’atelier en soit. J’ai cela dit, déjà eu l’occasion d’en voir un bon nombre de par les petits jobs que l’on est amené à faire en tant que jeune artiste (assistant d’artiste, régisseur…). Subsiste tout de même un peu de curiosité à l’égard de certains lieux de production, les ateliers « PME » de certains grand noms de l’art. Mais je suis davantage intéressé par les rencontres humaines susceptibles de s’y dérouler que par le décor qui les abrite…

Enfin, quels sont tes projets à venir ?

L’année 2015 a débuté avec une belle exposition personnelle à la galerie 22,48m² à Belleville visible jusqu’au 28 mars 2015 intitulée « Ce que j’ai vu n’existe plus ». J’ai entamé en février une résidence de création à Nancy, à l’invitation du collectif et éditeur d’art ERGASTULE, qui s’achèvera fin avril et donnera lieu début mai à l’édition d’un multiple, une exposition personnelle et une petite édition papier contenant un nouveau texte critique. Il y a d’autres projets à plus longs termes en cours d’écriture et de programmation mais tout n’étant pas encore tout à fait fixé il est préférable de ne pas les annoncer pour le moment.

Photos © FG & Javel / Roughdreams.fr

Interview menée par Fanny Giniès

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Exposition « Ce que j’ai vu n’existe plus »>
Jusqu’au 28 mars 2015

à la Galerie 22,48 m²
30 Rue des Envierges
75020 Paris

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http://thomastronelgauthier.com/

http://www.2248m2.com/