On y pense peu, mais la peau est le lieu où s’arrête l’individu et où commence le reste
Il est certain que le processus de complexification qui a créé l’intelligence aurait tourné court si le jeu des réactions physico-chimiques n’avait d’abord accouché d’une enveloppe où a pu germer un embryon de système nerveux. Sur la voie qui va des organismes unicellulaires dérivant dans la soupe originelle, jusqu’à l’homo sapiens capable de s’appréhender comme objet évoluant dans un ensemble de disparités discernables, une étape a dû être franchie : la constitution de la peau.
Il s’ensuit que la fermeture sur soi est préalable à l’ouverture sur l’autre et c’est ce paradoxe qui a présidé au développement de facultés cognitives. Du simple au complexe, l’affaire s’est réalisée par l’association d’unicellulaires opportunistes. Comme des briques identiques peuvent s’assembler en une multitude d’objets différents, ces éléments ont établi des réseaux symbiotiques dont les possibilités surpassaient la somme des possibilités individuelles. D’essais en erreurs, des segments se sont spécialisés pour répondre aux pressions de l’environnement. Ainsi est apparue une superstructure capable de coordonner un nombre grandissant d’habiletés, pour finalement en arriver à manipuler des abstractions. Sans la peau, le bouton à quatre trous n’aurait jamais existé.
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Ces pensées me traversent l’esprit pendant que ma main frôle les seins de Pauline. Elle frissonne sous la caresse et ses frissons engendrent les miens, qui amplifient les siens, et ainsi de suite. C’est par la peau que naissent et transitent ces flots d’émotions qu’aucun autre sens ne pourrait susciter et transmettre.
Nos caresses se précisent. La peau étant zone d’osmose, un peu de moi se dissout dans Pauline et réciproquement. L’échange déclenche des sécrétions hormonales qui diffusent des ordres dans l’organisme. Glycémie, tension artérielle, taux d’adrénaline, les paramètres biométriques impliqués dans le processus s’ajustent en vue de l’éclatement final. Le besoin de fusionner devient si impératif que nos sexes sont attirés comme des aimants de polarité inverse.
Je sais qu’en faisant l’amour, nous obéissons à un réflexe vieux comme la reproduction sexuée qui ne poursuit qu’un objectif : perpétuer l’espèce. Nous savons contourner le piège pour tirer jouissance de l’appât, mais peu importe. La stratégie de la gratification fonctionne malgré nos ruses pour la détourner de ses fins. L’humanité a mis plusieurs milliers d’années avant d’atteindre, vers 1900, le milliard d’individus. Lorsque les moyens de contraception sont devenus sûrs au milieu du XXe siècle, elle en comptait déjà le double. Cinquante ans plus tard, la population s’était multipliée par trois.
On constate un fléchissement de la croissance démographique en Occident, mais l’épidémie persiste à l’échelle planétaire. À l’image des transnationales qui installent leurs usines sous des cieux monétaires plus cléments, les centres de procréation se concentrent maintenant là où les coûts de fabrication des bébés sont moindres. L’émigration distribue ensuite les surplus dans les pays riches à court de main-d’œuvre. Résultat : la population mondiale dépassera bientôt huit milliards. Et ça ne s’arrêtera pas là, parce que notre système économique est fondé sur la croissance perpétuelle de la production et, donc, du nombre de consommateurs.
Le développement durable n’y changera rien. Ce concept magique, sorti d’on ne sait quel chapeau, n’est qu’un leurre, une contradiction dans les termes ; au mieux, un ralentisseur sur la route du progrès infini. Ses thuriféraires sont de bonne foi, mais ils ne prêchent rien d’autre que la nécessité de faire durer le développement. De quelque manière que l’on retourne la question, on se heurte au même constat : l’espèce humaine est lancée dans un processus de prolifération que rien ne peut endiguer.
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Le plaisir devient si intense qu’une partie de moi plane dans les étoiles comme si une communion s’établissait entre elle et le cosmos. Puis, comme Icare s’écrasa après s’être brûlé les ailes en s’approchant du Soleil, je retombe dans la grisaille quotidienne après avoir flirté avec la lumière.
Il y a sans doute de la tristesse post coïtale assaisonnée de panthéisme candide dans la genèse de cette idée. N’empêche ! elle me donne la chair de poule.
Pauline accentue le malaise lorsqu’elle susurre :
— Tu sais, chéri, mes règles retardent…
Nando Michaud
Notice biographique
Après avoir passé 11 ans à écrire des discours ministériels, j’essaie maintenant de me refaire une santé en tâtant un autre type d’absurdités… sans effets secondaires déplorables. J’ai publié jusqu’ici un recueil de nouvelles (Virages dangereux et autres mauvais tournants) et neuf romans, dont Les montres sont molles, mais les temps sont durs, Le hasard défait bien des choses, Un pied dans l’hécatombeet La guerre des sexes ou Le problème est dans la solution.