La fausse-naïveté de l’univers de la réalisation de Marjane Satrapi nous amène à aller plus loin que le son de la voix d’un chien du côté de la raison et d’un chat animé de meurtre. La subtilité de l’oeuvre ? Proposer un schéma différent de notre bon Dexter ou du gentil Dr. Dolittle. Du Bien ou du Mal, la morale est questionnée avec l’art et la manière.
Milton, décor des « gens gentils bien comme il faut … »
Être cariste/préparateur de commande ? Un métier passionnant pour Jerry ! (Ryan Reyanolds)
Bienvenue à Milton, petite ville des Etats-Unis et lieu du récit. Parmi environ 4 000 habitants vit Jerry (Ryan Reynolds), un cariste employé dans une entreprise qui fonctionne grâce à la vente de baignoires ! Dans ce microcosme, la vie gazouille grâce à ses salariés vêtus de la tête aux pieds en rose; de son restaurant asiatique au service à volonté. En grattant le vernis, le rêve américain s’effrite : les relations de travail sont opportunistes ou mauvaises et notre personnage souffre dans son for intérieur. Jerry rêve de parachever une petite tranquille au bras de Fiona (Gemma Arterton), une britannique du service comptabilité. Tout pourrait se dérouler comme dans un téléfilm bas de gamme sauf que Jerry souffre de troubles mentaux et, pour se soigner, seule une poignée de médicaments calme notre instable. Sinon, de petites voix se font entendre : ici, M. Moustache le chat insulte son propriétaire ; là Bosco le chien raisonne son maitre … Malgré le bon sens, l’aspect juvénile du héros, tout l’intérêt est d’observer une volonté basculer vers les idées les plus sombres.
The Voices a tout d’un conte peu merveilleux d’1h30. Si les faits paraissent un peu longs à se mettre en place, à se démêler de l’ordinaire et finalement à proposer quelque chose de nouveau, Marjane Satrapi a su diriger sa troupe d’acteurs avec un certain brio et réserver l’implication du spectateur dans le dernier tiers de la réalisation. Ryan Reynolds se révèle grâce à la caméra de la réalisatrice dans un rôle à point nommé où la neutralité et l’état d’innocence s’adaptent à la perfection. Gemma Arteton (Qui avait été remarqué dans Gemma Bovery entre autres.) et Anna Kendrick (Dans le rôle de Lisa) deviennent toutes deux des incarnations fantasmatique qui accompagnent la douce sympathie de notre personnage principal. Ryan Reynolds assure le travail, personnalise son interprétation sans trop en faire et, surtout, en permettant toute l’ambiguïté et l’étrangeté de l’interprétation de The Voices : voilà un personnage répréhensible du point de vue de la loi et pourtant attachant. Une réussite que l’on doit à la complicité entre réalisation et acteur, à n’en point douter un seul instant.
Sans pilules, la vie est plus … folle ?
Si The Voices n’est pas purement original, le long-métrage a le talent d’entrecouper cette impression de déjà-vu d’un rire que l’on sait noir, décalé et critique. Sur une maladresse, le sang coule. Les répliques gagnantes sont aussi dues à M. Moustache, félin nourri au Wiskas et à la phrase assassine percutante. Le sourire se décroche à vigueur de la prise ou non de ces fameuses pilules qui taisent ces multiples voix. En ingérant quelques uns de ces calmants, les lendemains qui chantent deviennent des journées à pleurer et à vivre d’une solitude pesante d’un appartement trop vide et bien triste.
« L’homme donne à pleurer; il prête rarement à rire ». L’expression n’a jamais été aussi vérifiable que dans The Voices. Faux film d’horreur, comédie véritable; tout cela pour cacher, en réalité des idées intéressantes.
« 10 ans de thérapie en 10 secondes. »
L’univers des open-spaces, des couleurs vives et de la cadence bien réglée de la vie, bienvenue à Milton!
Le travail de Marjane Satrapi a été de donner forme à un scénario qui, originellement, n’est pas totalement le sien. Pour se l’approprier, certains codes pourraient rappeler Persepolis. Le premier souhait de l’effort de consistance réside dans l’aspect très années 80 de l’oeuvre. The Voices apparait visuel tout en ayant un goût de démodé. Les amoureux d’Edward aux mains d’Argent de Tim Burton se remémorent peut-être de la cadence très réglée et incessante des voitures colorées qui se rendent sagement et à l’heure au travail et de ces pavillons payés à crédits. Les influences transpirent nettement dans ce morceau de vie enchanté et coloré, toujours sans prendre les fameux médicaments.
« Alors Jerry ? Qui est le prochain ? »
Le pourquoi du comment d’une réalisation aux airs d’Hollywood permet d’introduire un malaise dramatique et critique. Si Jerry bascule du côté du mauvais karma, ce serait pour mieux échapper à la réalité telle que les autres individus peuvent la voir. Sans médicaments, l’appartement de Jerry est un coin paradisiaque isolé du monde; le frigo ne comporte qu’une boite de ronron colorée. Pour les gens du commun, son 30m x 30m est un cloaque morbide où les étrons de M. Moustache parfument imparfaitement le lieu.
Nourri de décalage et d’étrangeté(s), The Voices multiplie les scènes invraisemblables et à vrai dire sorties d’une imagination débordante. Pour Jerry, voir apparaitre une copie conforme de Bruce Lee et un poisson psychologue, rien d’absurde ! Toute la particularité du scénario est de transformer ce héros d’occasion en un œdipe coincé entre son enfance et son adolescence. A 80%, tout est perçu par cet être influençable et manipulable à volonté. Rien d’étonnant mais parfaitement dramatique, Ryan Reynolds incarne un personnage esseulé et désarmé où le chat apparait comme l’animal le plus convainquant.
Graphique, intrigant d’apparence simple, The Voices réussit son invitation à la réflexion. De façon tout aussi décomplexée que l’ensemble de la réalisation.
M. Moustache « m’a dit de le faire » !
Le Bien ennuyeux et plan-plan ou le Mal incarné de nature féline ?
L’interprétation du surprenant The Voices repose, en partie, sur ce Jerry qui ne sait pas désobéir. Il fait pourtant un choix en laissant volontiers la monotone voix du bon sens. Finalement, de l’ange ou du démon, la voix choisie sera celle qui aura réponse à toutes les questions, toutes les angoisses et qui est une promesse immédiate. La religion, que l’on pensait être une spécificité de Persepolis, revient sous la forme d’une extrême onction rapide.
Bien ou Mal, Jerry est la rencontre d’un enfant, d’un mauvais tueur et de quelqu’un de peu ingénieux. Mais sympathique, au fond.
Livré à lui-même, le personnage erre. Il aura pourtant conscience du haut degré d’horreur dans lequel il vit. Seulement, qui aurait pu lui enseigner la limite tenue du Bien et du Mal ? Un chien ou un chat ? La religion ? Seul ? Tout repère est absent, plus encore en l’absence des cachets prescrits par sa psychologue dans un monde empreint d’illusions glauques et d’avance dramatiques.
On a aimé :
+ Un univers coloré et rétro tourné à la dérision.
+ Ryan Reynolds réhabilité par Marjane Satrapi.
+ Les phrases assassines de M. Moustache.
+ La scène finale : un générique au sommet de l’absurde. (Sing a happy song est à découvrir ici!)
+ Une bande-son simple mais efficace.
+ L’humour de The Voices
On a détesté :
- Un film long à démarrer.
- Peu de suspens.
- Une fin décevante. (Du moins, avant le générique.)