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Non, "Tosca" de Puccini n’est pas qu’une "tranche de vie saignante" pour reprendre une expression désobligeante souvent employée par les ennemis du vérisme. Car le drame en trois actes qui se déroule sous nos yeux reste d’une poignante actualité. Il doit même se vivre actuellement aujourd’hui quelque part dans le monde…
Quand les artistes se mêlent de politique et s’opposent au pouvoir totalitaire en place, du sang frais ne peut que couler.
Et c’est une belle hécatombe en effet: les trois protagonistes principaux (un baryton, un ténor, une soprano) vont mourir, sous nos yeux, de mort violente. Un quatrième hors champ…
Fait divers pour certains, certes, mais fait de violence, de passion. Dans une dramaturgie dense, intense, aérée, palpitante, une invention musicale et mélodique exubérante, un dialogue haché aux accents cruels et morbides.
Non, en cette année 1900, "Tosca" n’est pas le chant du coq du vérisme. Y voir plutôt le chant du cygne du mélodrame.
L’essentielle vertu d’une bonne production lyrique est peut-être moins de renouveler la vision d’une œuvre que de lui rendre sa fraîcheur et de replacer l’auditeur face à la charge subversive d’une création.
Ces vingt-quatre heures ultimes de la vie d’une femme sont aussi un morceau de bravoure dans la noirceur, comme un balancement périlleux entre désir et cruauté pour une histoire d’une passion et passion de l’Histoire.
N’ayant pas tenté de bouleverser la mise en scène d’une œuvre bâtie en profondeur sur la véracité politique et érotique, le marseillais Louis Désiré (qui cerne ici aux mieux les tourments de l’âme humaine et signe des décors et costumes de fort bon goût) a largement contribué au triomphe indescriptible de cette "Tosca".
Hormis un sacristain un peu trop lourdement sage (Jacques Calatayud le dessine avec tant de bonhomie), on aura découvert une scénographie souple et incisive, finalement sobre dans son classicisme, impressionnante (l’entrée de Scarpia, le lever du jour mortifère sur une Ville Éternelle toute de pierre et de fer, ou le suicide de Tosca face au public), bref, efficace.
Avec cette régie sans excès, d’un goût sûr, débarrassée de ces néfastes clichés, malgré un ou deux hors-d’œuvre, tous jouent le jeu avec conviction.
Des êtres de chair et de sang dont la passion dévore la scène par la seule intensité de leur présence et du jeu constamment fouillé qui leur est demandé.
Jamais la musique n’est autant parlante que lorsqu’elle est vraiment chantée… Tant il est vrai aussi que les passions extravagantes des personnages exigent des chanteurs des dons de comédiens expérimentés, alliés à de grandes voix.
Floria Tosca peut alors bien rester l’actrice histrionique de Sardou (Victorien, pas l’autre), son amant un simple ténor d’opéra et l’infâme Baron Scarpia comme la personnification du mal…
Spécialiste du rôle-titre, Adina Aaron était attendue avec impatience. Son jeu scénique n’échappe pas toujours à ce qu’il est convenu d’appeler le "vérisme"… un peu trop de gestes grandiloquents, quelques regards de grand guignol assez rigolos, jusqu’à la laideur calculée du cri.
En méforme évidente en ce soir de première (le si bémol du suicide est carrément raté), s'arrangeant de la partition avec une intelligence diabolique, oscillant entre une sorte de parlando pas très naturel, un aigu voilé ou arraché aux forceps, quelques intonations new-orleans et effets de fading forts drôles, l'américaine trouvera toutefois pour le psychodrame au Château Saint-Ange de beaux accents.
Face à sa volcanique Castafiore, Giorgio Berrugi lui donne une superbe réplique. Son Mario, fougueux, à la voix claire, expressive, à la quinte aigüe lumineuse, charrie la fierté de la jeunesse, son courage, son insolence, ses rêves, ses illusions perdues.
Grandiose également le Scorpion/Scarpia de Carlos Almaguer. Élégant, racé, aristocratique (ce policier sadique reste avant tout un baron!), le baryton mexicain fait un joli travail sur la demi-teinte dans le registre moyen qui est d’une solidité et d’une malléabilité admirables. Une force maléfique tranquille, une masse luciférienne en mouvement dont les envolées lui permettent des fa et sol terrifiants de musicalité démoniaque et agressive.
Disons l’excellence des seconds rôles (Delpas en Sciarrone, Felix en Spoletta, Garcin en repris de justice, Bonelli en Tartuffe de première) finement campés dans la rouerie, le sadisme ou la bassesse, des chœurs, mais aussi la direction musicale de Fabrizio Maria Carminati qui irise de mille couleurs l’orchestre phocéen et exhale dans la fosse les parfums ensorceleurs, capiteux d’une Rome noircie au fusain, sans air et sans soleil, qui fait soudain penser à celle ouverte de Rossellini.
Comme la Magnani dans le film, Tosca se trouve être également la malheureuse égérie et pitoyable victime.