" Quand on rit, est-ce qu'on rit au premier degré ou est-ce qu'on est capable de ne pas prendre les choses telles qu'elles sont écrites et présentées ? Le principe du rire est justement de créer le décalage entre ce qui est écrit ( et que l'on pourrait prendre au premier degré) et notre esprit critique ( qui nous fait dire : mais non, évidemment, c'est de l'humour). Aujourd’hui, il semble que l'on ne sache plus dire si tel roman relève de l'humour ou pas : on a peur que ce soit vrai. On lit au premier degré. Au degré le plus basique. Dans le cas Houellebecq , par exemple, il s'agit d'un conte drôlatique. Lui-même l'a expliqué, je crois. Or aujourd'hui beaucoup disent qu'il, faut prendre ce roman au pied de la lettre, que c'est islamophobe, que Houellebecq se rend complice de cette soumission qu'il met en scène dans son roman...C'est totalement absurde. Il faut apprendre à lire. Et mettre des limites au politiquement correct, qui est en train de nous dévorer. L'écrivain à droit au politiquement incorrect, aux hypothèses les plus folles, les plus farfelues. Voila ce qu'il faut enseigner aujourd'hui à l'école. Deux priorités donc : premièrement, apprendre à lire ; deuxièmement, accepter le politiquement incorrect. Et j'ajouterai, troisièmement,; apprendre à faire la différence entre le réel et l'imaginaire. Certaines de nos élites, politiques, mais aussi journalistiques, sont obsédées par le moralisme. Et ce sont les mêmes qui viennent ensuite défiler pour la liberté d'expression... En faisant de la conformité au politiquement correct la valeur numéro un, on tue la littérature.
Elisabeth Badinter : extrait d'entretien, dans le magazine Lire, Mars 2015