Jean-Marc Sylvestre, les profs détachés et le mal journalisme

Publié le 15 mai 2008 par Pierrem
Ce matin sur France Inter, Jean-Marc Sylvestre reprenait le chiffre rappelé dans les colonnes du Figaro d'aujourd'hui : 23000 enseignants se trouvent "détachés" et ne sont donc pas face à des élèves. 23000 faignants, vous rendez-vous compte !? En fait le journaliste économique a raconté n'importe quoi, sans que personne ne l'arrête pour lui dire.

Trois erreurs en deux secondes, record battu !
Première erreur : "détachés" peut signifier certes "détachés" à d'autres fonctions que l'enseignement, mais ce n'est pas pour autant qu'ils ne travaillent pas. Et cela peut signifier également "détachés" à d'autres ministères que celui de l'Education Nationale. C'est notamment le cas des professeurs dans les établissements français de l'étranger qui sont sous la tutelle du Ministère des Affaires Etrangères, et qui pourtant font bien cours devant des élèves (cela représente environ 5500 professeurs, soit 1/4 des détachés selon le chiffre de JMS).
Jean-Marc Sylvestre a persévéré dans l'erreur. Il a rapporté ces 23000 enseignants détachés à un total de 210000 enseignants. Où a-t-il été cherché ces 210000 enseignants ? Mystère et boule de gomme... Rappelons qu'il y a 884000 enseignants en France, 740000 si on ne compte que l'enseignement public.
Troisième bourde en deux secondes, lorsqu'il calcule le rapport il s'écrie "23000 sur un total de 210000, 1 sur 4 !". Nicolas Demorand ne bronche même pas, il entend que 25% des enseignants ne foutent rien et ça passe comme une lettre à la poste. Oui mais seulement voila, 23000/210000 ça fait un peu plus de 10% et non pas 25% ! Si vous ne me croyez pas cliquez ici. Et encore, 10% ça fait beaucoup, puisque je vous le rappelle le chiffre de 210000 ne correspond à rien. Si on rapporte 23000 à 884000, on obtient 2.6% !!
2.6% d'enseignants détachés, ça ne veut toujours pas dire grand chose...
A quoi ressemble ces détachements ? Que font ces enseignants ? J'ai déjà mentionné les quelques 5000 enseignants à l'étranger. Ensuite le plus souvent il s'agit d'une ou de quelques heures de décharge hebdomadaire : les profs qui préparent des classes de terminale au baccalauréat peuvent bénéficier d'une heure de décharge. Amusez-vous à corriger des copies de bacs blancs et vous pourrez juger de l'injustice que représente cette heure de décharge.
Certains enseignants assument des responsabilités de formation auprès de leurs collègues (formateur en technologie de l'information et de la communication dans l'enseignement, formateur en IUFM auprès des enseignants-stagiaires, etc).
D'autres enseignants sont titulaires mais remplaçants (inconcevable au foot, mais pas dans l'éducation nationale) et il peut arriver que pendant des périodes plus ou moins longues ils ne soient pas appelés à enseigner devant les élèves. Mais critiquer les TZR (Titulaire en zone de remplacement) parce qu'ils ne sont pas devant des élèves reviendraient en quelque sorte à balancer à un pompier que c'est un parasite de la société alors qu'il est dans sa caserne, sur le qui-vive, à attendre l'alerte. Et bien le TZR c'est pareil, il est sur le qui-vive, mobilisable dans les 24h, doit accepter de jouer les remplaçants, parfois à des dizaines de km de son domicile. Et lorsqu'il n'a pas d'élèves devant lui, il souffre d'un manque de reconnaissance qui peut parfois emmener jusqu'à la déprime.
Les situations sont donc tout à fait diverses et il est mal venu d'agréger toutes les heures de décharges pour ensuite les totaliser sous la forme d'équivalent temps plein, et asséner dans la presse que l'éducation national compte 23000 tire-au-flanc dans ses rangs. Ces estimations sont issues d'un rapport de 2004 de la Cour des Comptes, et elles avaient déjà fait grand bruit au moment de leur parution. Journalistes et politiques s'étaient, déjà à l'époque, empressés de les interpréter n'importe comment pour crier au scandale. Philippe Séguin, Premier Président de la cour des comptes, avait alors du fermement remettre les points sur les i :
On pourra constater que la Cour appelle à la plus grande prudence dans l’utilisation des données qu’elle livre. Qu’elle précise bien que les effectifs des populations étudiées ne peuvent être, généralement, appréhendés qu’en équivalent temps plein, parce que les prélèvements effectués dans les ressources enseignantes ne portent presque jamais sur des emplois complets ; qu’en conséquence, comme il est souligné au rapport, l’extrapolation de ces données en personnes physiques ou en emplois serait erronée. (...)
La Cour elle-même souligne que quelles que soient les sommations d’effectifs que l’on fera pour les besoins de tel ou tel raisonnement, le phénomène rassemble des populations très différentes. La multiplicité des motifs de leur éloignement des élèves ou des activités pédagogiques, l’absence d’unité de comportement d’une académie à l’autre, la relative individualisation des justifications des situations, leurs différences de durée, rendent je cite toujours : « absolument impossible une appréciation globale indifférenciée ».
L'intégralité de l'intervention de P. Séguin

En tout cas, une chose est sûre, Le Figaro et Jean-Marc Sylvestre ne sont pas prêts de figurer sur la liste noire des médias de notre Président à tous.
NB : JMS a bien mérité son prix Donald, non ?
EDIT 1 : J'ai trouvé d'où viennent les 210000 profs dont parlent JM Sylvestre. Ce sont les professeurs qui bénéficient des décharges horaires. Si on met bout à bout l'ensemble des ces décharges on parvient au chiffre de 23000 équivalents temps plein. Je l'ai retrouvé dans l'article du Figaro dont l'éditorialiste économique de France Inter a dit s'être inspiré. Il faut croire qu'il n'arrive même plus à lire son correctement son quotidien préféré.
EDIT 2 : sur le blog DéChiffrages, Jean-François Couvrat enfonce le clou un peu plus.

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