Un film de Tony Kaye (2012 - USA) avec Adrien Brody, Garcia Gay Harden, James Caan, Lucy Liu, Christina Hendricks, Blythe Danner, Sami Gayle, Betty Kaye
Poignant et désespérant.
L'histoire : Henry est professeur d'anglais, remplaçant. Il va de lycée en lycée, au gré des opportunités, avec le fol espoir de trouver un jour un poste fixe. En attendant, il se donne autant pour ces élèves qu'on lui confie pour un mois que s'il avait à les suivre sur plusieurs années. Evidemment, en tant que suppléant, ce n'est pas dans les quartiers huppés qu'on l'envoie... Il se heurte aux gamins en errance des banlieues pauvres ; insultes, crachats, provocations. Mais il résiste, parce qu'il y croit. Et parce qu'il résiste, qu'il semble invulnérable, les jeunes sont interloqués, curieux, puis vaguement intéressés par son discours. Un espoir dans un abîme de souffrance. Henry prend sous son aile Meredith, une jeune fille obèse, paumée, visiblement rongée par des traumatismes, puis Erica, une toute jeune prostituée qui vit dans la rue et s'attache à ce jeune homme qui refuse ses avances, mais lui offre à manger...
Mon avis : Ne regardez pas ce film un jour de blues ; il est désespérant, déprimant ; un raccourci brillant de tous les maux de notre société au travers de la vie d'un professeur de lycée. La "disparition" des parents, des gamins laissés à eux-mêmes, qui hésitent entre suicide ou ultra agressivité, prostitution ou violence, avec comme seul centre de gravité l'irrespect total de l'autre, puisque personne ne leur a appris que tout était plus cool quand on est gentil. Et au milieu, ce pauvre prof, persuadé qu'il peut les aider à construire un monde meilleur tout en se rendant compte que son oeuvre est comme le tonneau des Danaïdes : un puits sans fond...
Quand on voit ça, on se dit : mais où va-t-on ??? Droit dans le mur ???
Sans compter que le film ne nous épargne pas les à côté : la solitude extrême de cet homme, à l'enfance malmenée, mais qui continue vaille que vaille son chemin quotidien sans jamais baisser les bras, prof remplaçant, jamais titulaire, trouvant pourtant encore et encore de la tendresse pour tout le monde, y compris pour son grand-père, à moitié neuneu, au passé douteux, et en pleine déchéance du quatrième âge, dans une maison de retraite glaciale.
Totalement déprimant, je vous dis.
MAIS : quel bonheur de s'accrocher aux yeux de ce héros des temps modernes, de constater que tout n'est pas perdu tant qu'il y aura des gens comme lui ; quel bonheur de voir soudain le sourire radieux d'Erica...
Réalisation originale, vive, inventive, avec des mouvements de caméra, des cadrages, des plans, des dessins, qui sortent de l'ordinaire. Un peu foutraque ; comme le monde qu'il décrit ; comme le monde dans lequel nous vivons.
Franchement bien. Et Adrien Brody est un génie !
Detachment... c'est le recul qu'il faut prendre pour pouvoir vivre dans notre société de fous furieux ; c'est aussi la fausse identité que l'on affiche, sûre et lisse, pour ne pas montrer ses failles intimes, qu'il s'agisse des gosses, ou des adultes...
La presse est partagée, mais la tendance est plutôt vers le haut :
Ceux qui aiment : "Loin des films américains qui font de la violence scolaire un spectacle, Tony Kaye montre une réalité difficile avec un grand respect (...). Le réalisateur filme de manière sensible, (...) s'autorise l'insertion d'images animées, de flash-back en Super 8, de métaphores poétiques." (La Croix) ; "Sa vision pessimiste est contrebalancée par une mise en scène originale (animation, témoignages de profs). On met une très bonne note à ce film instructif." (20 minutes) ; "Adrien Brody n'avait pas été aussi bon depuis "Le Pianiste". (...) Il n'y a plus attachant que ce "Detachment". (Le Figaroscope). ""Detachment" (...) est une oeuvre noire, sombre, qui laisse sur le flanc. Une histoire jalonnée de réflexions existentielles (...). Le tout filmé avec un mouvement étrangement instable et des compositions très picturales (...). Tony Kaye interroge un monde au bord de la disparition." (Marianne).
Ceux qui n'aiment pas : "malgré la conviction de Tony Kaye et de ses comédiens, [le film] reste un semi-échec : entre les soliloques face caméra, la stylisation outrancière, (...) et les bonnes intentions propres à la catéchèse sociologique, le résultat n'évite pas la démagogie ni le pathos." (Excessif) ; "Archi-complaisant dans sa contemplation fascinée de la catastrophe, le film de Tony Kaye, mélange d'effets pseudo-documentaires et de stylisation outrancière, agace autant par sa lourdeur que par son ambiguïté." (Cahiers du Cinéma) ; ""Detachment" tapine pendant une interminable heure et demie en quête d'un bouc émissaire, et n'est finalement rien de moins qu'une grossière bouillie abjectement démonstrative et voyeuriste." (Critikat).
Je me classe avec enthousiasme dans la première catégorie. Les autres sont des snobs mal embouchés qui semblent n'avoir jamais croisé la misère sociale... Les spectateurs - le bon peuple donc - semblent avoir eux été très touchés par cette histoire.
(Euh... si vous-même n'avez pas aimé, vous n'êtes pas forcément un snob mal embouché... Mais vous avez raté un truc, c'est sûr !)