La langue française, oui mais laquelle ?
Par Pmalgachie
@pmalgachie
Du 14 au 22 mars, c’est la même chose depuis 20 ans à cette époque de l’année,
se déroule la Semaine de la langue française et de la Francophonie. En France,
donc, mais aussi, par l’intermédiaire de diverses institutions que nous
connaissons bien, dans les pays ayant le français en partage. En 2015, l’accent
est mis sur des mots venus d’ailleurs – d’autres langues.
Pour aborder la question, utilisons les compétences d’une
philologue qui l’a beaucoup étudiée, Henriette Walter, en souvenir d’une
rencontre au moment où elle publiait, en 1997, L’aventure des mots français venus d’ailleurs.
La langue française pure ? Une… pure fiction ! On
pourrait, presque sous forme de boutade, résumer ainsi le livre d’Henriette
Walter, savante philologue qui a trouvé le moyen d’intéresser un cercle de
lecteurs beaucoup plus large que celui des purs spécialistes. Son livre,
souvent réédité – en 2014, la dernière fois – est un magnifique travail de
spécialiste capable de transformer une matière aride en sujets de récits
passionnants.
Bien qu’elle ait déjà, avec son mari, concocté quelques
années plus tôt un Dictionnaire des mots
d’origine étrangère, l’enquête menée pour ce travail-ci lui a valu quelques
surprises.
« Ce qui m’a le
plus amusée, c’est de découvrir que des mots aujourd’hui identiques en français
avaient des origines différentes. Il en va ainsi, par exemple, de sac. Dans le sens de saccage, il vient du germanique. Dans le sens d’un
contenant, il vient de l’hébreu. Et puis, il y a tous ces mots dont on croit qu’ils
viennent d’une langue et qui, en fait, sont originaires d’une autre. Mousmé, qu’on attribue généralement à l’arabe,
vient du japonais. Et caviar ne vient
pas du russe mais du turc… »
La langue française s’est donc abreuvée, au fil des siècles,
à des sources diverses. Henriette Walter met en évidence quelques périodes clés
qui furent l’occasion de grands apports : « Dans le très haut Moyen Age, l’influence germanique a été
prépondérante. Aux douzième et treizième siècles, il y a eu le néerlandais, l’arabe
et les dialectes de France. Au seizième siècle, l’italien, et aux dix-neuvième
et vingtième, l’anglais. »
L’anglais, c’est la bête noire des puristes autoproclamés
qui, depuis des années, ne décolèrent pas contre l’envahissement de la langue
française par du vocabulaire venu de Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Cela ne
va pas sans créer quelques paradoxes : « Un
quotidien britannique a publié un article pour s’élever contre l’invasion de l’anglais
par le français. Par ailleurs, on a étudié la langue informatique anglaise,
réputée envahir le français : 80 % des mots y sont d’origine
latine ! »
Cela peut sembler une autre histoire. Pas tellement. En
fait, les langues ne cessent d’échanger du vocabulaire, des tournures de
phrase, des concepts. Henriette Walter, en tout cas, n’est pas inquiète à
propos du français. « C’est vrai :
j’ai voulu montrer que la langue française a pris des choses un peu partout.
Mais, au point de départ, je me constituais un dossier sur le phénomène inverse :
l’exportation du français. Celui-ci a peut-être donné davantage qu’il n’a reçu. »
Quand elle examine en détail comment se font les échanges,
la linguiste trouve quelques explications à ce qui se passe dans des moments
précis de l’histoire. Le cas de l’arabe est exemplaire : « Les Arabes, arrivés en Europe par l’Espagne
au huitième siècle, possédaient une charge culturelle extrême. Ils nous ont
transmis Aristote et toute la philosophie grecque, les chiffres indiens… Par
ailleurs, l’arabe a été utilisé dans le commerce, notamment sur les foires de
Champagne. On a donc du vocabulaire scientifique (comme algèbre, algorithme, etc.) et du vocabulaire de tous les jours. »
Mais les transferts se font parfois par des voies détournées.
Au dix-septième siècle, l’espagnol a servi de courroie de transmission aux
langues venues d’Amérique. Puis, au dix-huitième, par l’allemand, nous avons eu
beaucoup de vocabulaire scientifique venu du latin, parfois aussi du grec.
L’aventure des mots
français venus d’ailleurs est un ouvrage savant, incontestablement, mais
cela ne doit pas faire peur : « On
peut être ludique en étant savant », dit Henriette Walter qui a
travaillé un an et demi sur l’ouvrage en tant que tel, notamment pour
introduire, au cœur de son discours, des moments de récréation, des jeux qui
pourraient devenir des jeux de société. Il faut deviner l’origine de noms de
couleurs, celle des lieux où se vendent des marchandises (est-ce bazar ou
magasin qui est persan ?), etc.
Bref, on s’amuse dans cette aventure chronologique.
Henriette Walter n’est pas seulement un rat de bibliothèques
poussiéreuses. Ses recherches dans le passé la conduisent à faire un peu de
prospective. Elle tient un discours progressiste et rassurant qu’elle résumait
en 1988 dans la conclusion d’un autre livre, Le français dans tous les sens, qui vient d’être réédité au format
de poche. On ne peut mieux faire que la citer.
« Plus ou moins
consciemment, chacun d’entre nous se laisse prendre tour à tour aux
fascinations de deux courants opposés : celui de la tradition, qui conduit
à se mouvoir avec délices dans le carcan des règles et des interdits qu’impose
le bon usage, et aussi à se
passionner pour les championnats de l’orthographe ; et celui de la
modernité, qui pousse à enfreindre les règles et à innover hors des sentiers
permis. »
Dans un monde où tout va vite, et où toutes les langues sont
soumises aux nouvelles conditions de la communication de masse, pensons au
langage des textos, la langue française, comme les autres langues, entre dans
une nouvelle ère de son histoire : elle s’adaptera ou elle périra.
Les signes perceptibles des mouvements qui la parcourent
nous avertissent discrètement qu’elle est déjà sur la bonne voie. Même pas
peur ! Ce pourrait être un slogan pour Dis-moi
dix mots que tu accueilles, la déclinaison 2015 du jeu lié à chaque édition
de la Semaine de la langue française et de la Francophonie.