Une exposition, le plus souvent, signale un moment sur la route d'un artiste. Ce qui nous est présenté aujourd'hui à la galerie Fatiha Selam à Paris constitue à l'évidence dans l'itinéraire du peintre Stephen Schultz un exemple significatif de ce que peut représenter cette avancée dans une œuvre, peut-être même marquer ici un aboutissement. Pourquoi évoquer un tel dénouement ?
De la palette chromatique à l'avancée diatonique
Stephen Schultz Galerie Fatiha Selam Paris
Stephen Schultz a parcouru le chemin d'un peintre tout au long de ces années, recourant directement à la peinture sur la toile, établissant dans sa confrontation au réel un rapport à la figure sans pour autant basculer dans un réalisme immédiat. « Les tableaux, dit-il, ne visent pas à être une fenêtre vers le monde réel, mais plutôt à décrire un pas de ce monde vers un autre à l’action et au temps suspendus, de la même manière qu’une pièce de théâtre, plutôt que de refléter la vie, l’amplifie ».
Le peintre ne fait pas appel à un modèle dans son atelier. Il attend de ses personnages qu'ils témoignent d'une présence, ne cherche pas à identifier tel ou tel qui pourrait être indifféremment homme ou femme. Ces personnages sont inventés de toutes pièces dans leur morphologie comme dans leurs attitudes même si le peintre s'inspire parfois de l'approche de quelques uns de ses amis pour capter le sens d'une gestuelle. Le recours à la couleur s'est effectué dans la retenue, avec une économie ondulatoire propre à donner aux scènes cette douceur particulière.
Plus récemment quelque chose s'est passé. Le peintre a délaissé la palette de couleurs pour ne conserver que le noir et le blanc toujours au service d'une peinture dans laquelle la dramaturgie s'accentue. « Le noir et blanc, explique-t-il,, est devenu le médium provocant et mystérieux du récit ». Ce choix réducteur révèle déjà une volonté de dépouillement formel, laissant derrière lui le trop plein du jeu chromatique pour se confronter à cette seule possibilité binaire.
Le trait contemporain
Aujourd'hui, Stephen Schultz fait encore un pas en avant en direction d'une recherche de l'absolu. De la palette de couleur du peintre à la peinture restreinte au noir et blanc, jusqu'au dessin, il nous indique le chemin à la recherche des origines de l'art, pour cette quête d'un essentiel, d'un mystère plus que jamais actuel. Pierre-Yves Trémois, autre dessinateur réputé, témoignait de cette fascination :
« Le trait est « contemporain ». Il n’a que vingt-cinq mille ans. Lascaux c’était hier, ce sera demain. (...) Aujourd’hui le trait est l’expression d’un avant-gardisme auquel peu d’artistes osent se confronter.».
"Un simple trait de crayon sur la surface blanche du papier est déjà une blessure " nous dit Gérard Titus Carmel. Dessinateur et graveur, Pierre Courtin, fils de paysan, voyait dans l'acte de dessiner la transposition du laboureur creusant son sillon.
Dans l'œuvre de Stephen Schultz, le dessin n'est pas au service préparatoire de la peinture. L'artiste a décidé de se libérer de la lenteur que lui impose la progression du peintre sur la toile pour savourer la liberté que lui procure cette légèreté vivante et rapide du dessin. Son tracé semble ignorer l'effacement, marque l'empreinte de son passage sans repentir comme la rémanence du geste, preuve graphique d'un mouvement qui vient à la fois de la main créatrice et des personnages nés de ce geste. Le tracé de Stephen Schultz maintient sa présence au-delà du trait nécessaire, refuse de disparaître et semble doubler la scène dessinée par un plan diffus sous-jacent, témoignage de la course libre de ce sillon presque ininterrompu. En outre, par son format, c'est le dessin qui s'impose à l'artiste immergé dans ce plan de travail qui le domine.
Cet aboutissement du dessin apparaît, me semble-t-il, comme l'ultime étape de cette recherche dans laquelle il faudrait se débarrasser de trop de moyens disponibles, abandonner sur la route la diversité chromatique et même la simplification diatonique pour accéder au secret d'un trait, tracé à la fois apparemment si simple et, de fait, si complexe.
Faut-il en conclure que le dessin est l'avenir du peintre ? En accédant à ce point primordial, Stephen Schultz me semble réunir dans une même préoccupation le geste ancestral et le regard contemporain, confirmant, s'il en est besoin, cette constance immémoriale de l'artiste dans son interrogation du réel.
Photos: Galerie Fatiha Selam
Stephen Schultz
Twicetoldtales Twicetoldtales
part II
Galerie Fatiha Selam
14 mars-30 avril 2015
Vernissage le samedi 14 mars de 16H à 21H
58 rue Chapon
75003 Paris