La crise économique a pour effet de ramener à l’avant-scène
un réflexe vieux comme le monde, le protectionnisme. Selon ses défenseurs, il
suffirait de fermer les frontières et l’économie redémarrerait comme par
enchantement.
Quiconque connaît un tant soit peu l’histoire sait que la croissance économique
est directement liée à la liberté de commercer. Toutes les économies qui, par
réflexe protectionniste ou pour d’autres raisons politiques, se sont repliées
sur elles-mêmes ont périclitées : l’ex-URSS, la Chine de Mao, la Corée du Nord,
etc.
Les bénéfices du commerce
Dans un marché libre les prix des biens et services sont déterminés par les
acheteurs et les vendeurs. Grâce à la spécialisation et la concurrence que se
livrent les vendeurs, les prix des produits et services tendent à diminuer et
leur qualité à s'améliorer pour le bénéfice du consommateur. Le commerce permet
de multiplier les bienfaits de la concurrence au-delà de son village, de sa
région et de son pays.
Essentiellement, le commerce permet de produire plus de biens et services à
moindre coût, c’est-à-dire en utilisant moins de ressources. Donc, en
augmentant les biens et services disponibles le commerce favorise la croissance
du niveau de vie des individus et des sociétés qui le pratiquent.
À titre d’exemple, supposons que le Québec désire exporter plus de produits
d’aluminium aux États-Unis et que les Américains demandent d’exporter plus de
produits laitiers au Québec (1). À court terme, les prix des produits laitiers
québécois subiront des pressions à la baisse. Les producteurs devront s’ajuster
pour survivre. Les producteurs d’aluminium américains subiront un sort
similaire. Toutefois, cette situation forcera le transfert de ressources d’une
industrie inefficace vers une industrie plus efficace dans chacune des
économies. Ainsi, pour une même quantité de ressources utilisées les Québécois
obtiendront plus de produits laitiers et les Américains plus de produits
d’aluminium. Ainsi, les Québécois et les Américains se seront mutuellement
enrichis.
Le lobbying
Le commerce menace la rentabilité, voire l’existence, des industries
inefficaces. Pour se protéger elles demandent l’intervention des gouvernements.
Le libre commerce subit présentement des pressions politiques et culturelles en
faveur de l’adoption de politiques d’achat local. Les adeptes du
protectionnisme prétendent qu’en consommant des produits locaux nous favorisons
les emplois locaux. Les groupes écologistes recommandent la consommation de
produits locaux pour réduire les volumes de gaz à effet de serre (GES) générés
par le transport des produits importés. Dans un cas comme dans l’autre ils font
fausse route.
Pour prendre un exemple évident, des tomates Savoura produites en serre au
Québec génèrent considérablement plus de GES que des tomates des champs
produites au Mexique et transportées au Québec. Donc, tant du point de vue
économique qu’environnemental il est préférable d’importer les tomates du
Mexique. D’ailleurs, malgré une aide gouvernementale considérable, le
producteur de tomates en serre Savoura est au bord de la faillite.
Bien sûr, Savoura emploie des travailleurs pour produire des tomates
québécoises. Toutefois, le Mexique n’ayant plus les revenus associés à
l’exportation de ses tomates réduira d’autant ses importations de produits
québécois. Ainsi, les emplois maintenus au Québec pour produire des tomates de
serre seront perdus par d’autres entreprises québécoises. À la fin, les
consommateurs québécois et mexicains seront les grands perdants de cette
politique d’achat local.
Poussée à l’extrême, une politique d’achat local est une recette qui mène à la
faillite des économies qui la pratiquent. La piètre performance de l’économie
cubaine est un bon exemple des effets pervers d’une économie fermée sur
elle-même. Le fait que ce soit le blocus américain qui impose cette politique
aux Cubains ne change en rien la conclusion.
Le cas particulier de l’industrie
agricole
L’’industrie agricole est la cible de prédilection des défenseurs des
politiques d’achat local. Ils sont secondés dans leur démarche par les écolos
qui prétendent que le transport des produits agricoles génère d’importante
quantité de GES.
Il est certain que le transport des denrées alimentaires entre les différentes
régions du monde produit des GES. Cependant, cela ne permet pas de conclure que
les produits agricoles locaux sont plus respectueux de l’environnement que ceux
en provenance du Chili, du Mexique ou de la Californie.
Une étude de l’université
Lincoln en Nouvelle-Zélande a calculé qu’une tonne de viande d’agneau
produite en Angleterre génère 2 849 kgm de CO2. Le même agneau élevé en
Nouvelle-Zélande et transporté sur une distance de 18 000 km, en génère 4 fois
moins, soit seulement 688 kgm.
Une étude de
Christopher L. Weber et H. Scott Matthews publiée dans Division of Labour
conclut :
« Nous avons trouvé que bien que les
denrées alimentaires soient transportées sur de longue distance (1640 km pour
la livraison entre le producteur et le détaillant et en moyenne 6760 km pour un
cycle de vie complet), la phase de production domine les émissions de GES,
contribuant en moyenne 83 % des 8,1 tonnes de GES, générées par la production
des denrées alimentaires consommées annuellement par une famille américaine. Le
transport associé au cycle de vie complet contribue 11 % des GES et la
livraison seulement 4 %. L’intensité des GES des différents groupes
alimentaires varient largement. En moyenne, les viandes rouges génèrent 150 %
plus de GES que le poulet ou les poissons. Aussi, nous suggérons qu’une
modification de la diète est un moyen plus efficace de réduire les émissions de
GES qu’une politique d’achat local. Substituer les calories d’une seule journée
par semaine de viande rouge et de produits laitiers pour du poulet, du poisson,
des oeufs ou des légumes aurait plus d’impact sur la réduction des GES que
l’achat local de toutes nos denrées alimentaires. » (2)
En général, la consommation de plantes au lieu de viande, en particulier les
viandes rouges, procure plus de bénéfices pour l’environnement que la
substitution de légumes locaux par des légumes transportés sur de longue
distance.
Il serait fastidieux de calculer la pollution générée par chacune des étapes de
production de l’ensemble des denrées que nous consommons. Toutefois, il est
raisonnable d’affirmer que la pollution associée à la production d’un produit
donné est proportionnel à son prix. C’est normal puisque le prix est
proportionnel à la quantité de ressources requises pour le produire. Donc,
généralement le consommateur qui achète le produit le moins cher protège
l’environnement tout en améliorant son niveau de vie.
Malheureusement, les subventions aux producteurs locaux et les tarifs à
l’importation faussent les prix et sèment la confusion chez les consommateurs.
Ainsi, un consommateur, conscient des enjeux environnementaux, croira bien
faire en achetant un produit local moins dispendieux. Cependant, il aura été
berné par les tarifs à l’importation d’un produit équivalent ou par des
subventions aux producteurs locaux. Seul le libre marché est en mesure
d’établir le « juste prix » d’un produit et de guider objectivement le
consommateur dans ses choix.
L’agriculture au Québec
Supposons que dans le but louable de sauver la planète, les Québécois décident
d’acheter exclusivement des produits agricoles locaux. Cela augmentera la
demande des produits locaux et du même coup les besoins en ressource. Cette
décision n’est pas sans conséquence. Elle implique que, pour une même quantité
de biens et services, le Québec utilisera plus de ressources qu’il en faudrait
dans un régime économique favorisant la spécialisation et le commerce. Ainsi,
les ressources utilisées inefficacement par l’industrie agricole ne seront plus
disponibles pour d’autres industries qui en auraient fait une meilleure
utilisation. Donc, l’économie du Québec sera moins efficace que si elle
commerçait librement.
Cette conclusion est particulièrement valable pour l’industrie agricole
québécoise. Le climat froid qui prévaut au Québec augmente les coûts de
production bien au-delà des coûts de transport des denrées en provenance des
pays du sud.
Premièrement, notre courte saison de croissance limite les fermes à une seule
récolte annuelle. Donc, pour produire une quantité donnée de denrées, nous
devons utiliser 2 ou 3 fois plus de terres arables qu’une région ou on produit
plusieurs récoltes annuelles.
Deuxièmement, la rareté de la main-d’œuvre oblige les agriculteurs à utiliser
plus d’équipements mécaniques. Ces équipements coûtent cher et leur utilisation
génère de grande quantité de GES.
Troisièmement, nous utilisons plus d’engrais chimiques pour compenser la
pauvreté des sols et la courte saison de croissance. Ces engrais polluent
l’environnement et l’énergie nécessaire à leur production génère beaucoup de
GES.
Quatrièmement, le climat impose des coûts d’opération élevés. Les agriculteurs
utilisent des bâtiments chauffés, éclairés et ventilés pour protéger les
animaux. Ces infrastructures énergivores sont une source non négligeable de
GES.
Finalement, les cultures maraichères et horticoles requièrent l’utilisation de
serres chauffées et ventilées. Une politique qui favorise ces cultures va à
l’encontre d’un objectif de développement durable.
Le Québec est l’une des régions du monde ou l’industrie agricole est la moins
efficace. Elle est artificiellement maintenue en vie par un régime
de gestion de l’offre et par des subventions qui coûtent des centaines
de millions annuellement aux consommateurs québécois.
Conclusion
La science économique démontre que le commerce enrichit ceux qui le pratiquent.
Toutefois, les opposants argumentent que la création de richesse n’est pas la
finalité de l’homme. Ils accusent le libre marché de tous les maux, notamment
de détruire l’environnement.
Cependant, ils occultent sciemment le fait que pour une production donnée le
commerce permet de réduire le gaspillage de ressources rares et limitées. Donc,
indirectement, le commerce en favorisant l’économie des ressources, réduit les
émissions de GES et protège l’environnement. Au contraire, les politiques
d’achat local amplifient les problèmes que les groupes d’intérêt et les écolos
prétendent vouloir résoudre. Comme c’est souvent le cas, les bonnes intentions
ne suffisent pas.
Il est évident qu’au Québec une politique stricte d’achat local en agriculture
est irréaliste et dommageable pour l’économie et l’environnement. Les régimes
de gestion de l’offre, les subventions et les tarifs douaniers nuisent au
développement économique du Québec. Ils favorisent une agriculture locale
inefficace au détriment des consommateurs.
(1) Il est sous-entendu que l’industrie québécoise de l’aluminium est plus
efficace que celle des États-Unis et vice-versa dans le cas de l’industrie
laitière. Le but de ce texte n’est pas de démontrer la véracité de cette
hypothèse, mais plutôt d’utiliser cette hypothèse pour démontrer les avantages
du libre commerce.
(2) Traduction libre du texte
: We find that although food is transported long distances in general (1640 km
delivery and 6760 km life-cycle supply chain on average) the GHG emissions
associated with food are dominated by the production phase, contributing 83% of
the average U.S. household's 8.1 t CO2e/yr footprint for food consumption.
Transportation as a whole represents only 11% of life-cycle GHG emissions, and
final delivery from producer to retail contributes only 4%. Different food
groups exhibit a large range in GHG-intensity; on average, red meat is around
150% more GHG-intensive than chicken or fish. Thus, we suggest that dietary shift
can be a more effective means of lowering an average household's food-related
climate footprint than "buying local." Shifting less than one day per
week's worth of calories from red meat and dairy products to chicken, fish,
eggs, or a vegetable-based diet achieves more GHG reduction than buying all
locally sourced food.