d'après UN PARRICIDE de Maupassant
On avait trouvé en baie de Somme
Deux cadavres ficelés,
Une femme et un homme
D’environ cinquante ans.
On les savait financièrement aisés
Et amants depuis longtemps.
L’enquête établit ceci :
Ils n’avaient pas été cambriolés.
On ne leur connaissait pas d’ennemis.
Les voisins interrogés ne savaient rien.
Les gendarmes piétinaient bel et bien.
Ils allaient abandonner l’affaire
Quand un jeune menuisier
Nommé Joseph Lambert
Qu’on disait communiste
Voire anarchiste.
Vint se constituer prisonnier
-« Ces gens,
Étaient mes meilleurs clients. »
-« Alors pourquoi les avez-vous tués ? »
-« Parce que je devais les tuer ! »
Pouvait-on imaginer sérieusement
Qu’il aurait tué d’excellents clients ?
Pour expliquer une éventuelle vengeance,
Son avocat avait plaidé la démence.
Le menuisier avait tué deux Abbevillois
Faute de pouvoir supprimer tous les bourgeois.
Et le défenseur d’attester :
-« Voilà ce qui a exalté
Ce malheureux qui n’eut ni père
Ni mère,
Ce pauvre citoyen
Qui appartient
À ce parti
Dont on fusillait les membres naguère
Mais qu’on accueille aujourd’hui
À bras ouverts.
Troublé par tous leurs débats,
Son esprit malade chavira.
Il a voulu du sang de bourgeois !
Ce n’est pas lui qu’il faut condamner
Mais la Commune ou je ne sais quoi ! »
Le ministère public ne répliqua pas.
Pour l’avocat, la cause était gagnée.
Mais le menuisier se leva.
-« Écoutez-moi, s’il vous plait.
Comme je ne veux pas aller
Dans une maison de fous,
Je vais vous dire tout :
Mon Président,
Quand j’étais enfant
Un homme me mit en nourrice.
Ma mère n’a jamais su où son complice
M’avait emmené.
En pension, j’apprenais
Facilement.
J’aurais pu avoir, Mon Président,
Une position sociale supérieure
Si, pour mon malheur,
Mes parents n’avaient commis le crime
De se débarrasser de moi.
Vous voyez, je suis une victime.
Jugez-moi.
J’ai tué ces gens
Parce qu’ils étaient de mauvais parents.
Eux, sont coupables et sans pitié.
Ils auraient dû m’aimer. Ils m’ont rejeté.
Certes, je leur devais la vie.
Mais est-ce toujours un cadeau, la vie ?
La mienne ne fut qu’un long malheur,
Une permanente horreur.
Après avoir été abandonné,
Je ne pouvais que me venger.
Ils ont accompli l’acte le plus affreux,
Le plus infâme, le plus monstrueux.
Un homme joué, déshonoré
Ne peut pas pardonner.
J’ai été mille fois plus volé
Que tous ceux que vous absolvez.
J’ai pris leur existence heureuse
En échange de ma vie malheureuse.
Pensez-vous que ces gens
Se sont comportés en vrais parents ?
Non. Ils avaient supprimé leur enfant !
Leur tour était venu, à eux.
Ils devaient disparaitre, c’est évident.
Ils sont venus à mon atelier
Il y a un an ou deux
Pour la première fois
Depuis, ils m’ont confié
Presque tous les mois,
Tantôt un vieux buffet à restaurer
Tantôt un guéridon à réparer.
Un jour, elle m’a parlé de son enfant.
Moi, je lui ai dit que mes parents
M’avaient abandonné misérablement.
Elle eut alors un malaise
Et s’écroula sur une chaise.
J’avais deviné.
C’était ma mère.
Mais je décidais de me taire
Et de prendre des renseignements :
Veuve depuis un an,
Ma mère venait de se remarier
En fait, l’homme qui, avec elle, venait
À mon atelier était son amant.
Depuis très longtemps
Un soir, alors qu’ils venaient régler
Une facture, je m’exclamai :
-« Vous êtes ma mère, je le sais ! »
Elle recula de trois pas :
-« Mais vous êtes fou ! »
Je la saisis par le bras
-« Moi, fou ? Pas du tout.
Ne me mentez pas. »
Son amant déclara, furieux,
Injurieux :
-« Vous ne voulez que notre argent !
Faites donc du bien aux manants !
Ah ! Aidez-les,
Secourez-les,
Ces petits artisans !
Chérie, allons-nous-en !
Laissez-nous passer. Sinon
Je vous fais mettre en prison
Pour chantage et séquestration. »
Ils sortirent avec précipitation.
La nuit était tombée.
J’arrivais pourtant à les rattraper.
M’envahirent alors dégoût et colère.
Une affection rejetée
Se soulevait dans tout mon être.
L’homme déclarait :
-« Chérie, c’est de votre faute, cette histoire.
Pourquoi avez-vous tenu à le revoir !
Puisque nous ne pouvons le reconnaître ?
Nous aurions dû le payer par mandat-lettre. »
Je me jetai alors sur eux, affirmant :
-« Vous voyez, vous êtes bien mes parents.
Déjà une fois vous m’avez rejeté,
Vous voulez de nouveau me repousser ? »
Alors, l’homme leva la main sur moi ;
Je le jure sur l’honneur…sur la loi.
Comme je l’agrippais,
Il tira de sa poche un pistolet.
J’ai vu rouge. Je ne sais plus.
Je l’ai frappé tant que j’ai pu.
Ma mère s’est mise à crier :
-« Tu es un meurtrier ! »
Il parait que je l’ai tuée aussi.
Est-ce que je sais ce que je fis ?
Les ai-je assommés ?
Puis quand je les ai vus par terre,
…Les ai-je ficelés
Et jetés à la mer ? »
Devant cette révélation impressionnante,
L’affaire fut renvoyée à la session suivante.