Les dernières discussions, approuvées par le juge Steven Rhodes, concernant le plan de sortie de faillite de Detroit ont été récemment qualifiées de « Happy Talk » (discussions heureuses). Néanmoins, la ville est toujours frappée par la crise, les problèmes fondamentaux persistent, les droits les plus élémentaires ne sont pas respectés : logement décent, accès à l’eau, soins de santé, etc.
Dianne Feeley, auteure américaine, ouvrière retraitée de l’automobile aux Etats-Unis et militante de « Solidarity » |1|, lève le voile sur la réalité à Détroit. Detroit est la principale ville de l’État du Michigan aux États-Unis. Elle est connue principalement pour son industrie automobile, comme le soulignent les surnoms populaires de la ville : the Motor City, Motown ou la ville des Big Three (Ford, General Motors et Chrysler).
Detroit est le symbole de la montée en puissance d’une économie étasunienne et d’un « capitalisme triomphant » pendant les trente glorieuses. Aujourd’hui, elle est frappée de manière emblématique par les effets du néolibéralisme avec un taux de pauvreté supérieur à 40 % par rapport à la moyenne nationale et un taux de chômage représentant, officiellement, le double de celui de l’État du Michigan.
Detroit est aussi une ville marquée par la ségrégation raciale : le drame commence avec la fuite des blancs vers les banlieues dans les années 70 (aujourd’hui, 83 % de la population de Détroit est afro-américaine). Ce déclin du nombre d’habitants a conduit à une baisse des revenus publics. La situation s’aggrave avec la délocalisation des industries automobiles dans des États du pays où la main d’œuvre est moins chère, moins syndiquée et où la fiscalité est plus souple. Au début des années 80, Detroit se voit donc privé de toute aide, vidé de ses entreprises et de ses habitants. Toutes ces raisons ont accéléré le déclenchement d’une crise sociale et économique autodestructrice et amorcé la spirale de la faillite.
Comment la crise de 2008 a empiré la situation à Détroit ?
La crise de 2008 a frappé de plein fouet les États-Unis. Detroit, ville marquée par une combinaison de plusieurs années de baisse des ventes d’automobiles et une faible disponibilité du crédit, n’a pas été épargnée.
Après une chute spectaculaire des ventes d’automobiles en 2008, chacun des « Big Three » constructeurs américains – General Motors (GM), Ford Motor Company et Chrysler – ont demandé des prêts d’urgence pour remédier à leur pénurie de trésorerie. Avec l’intention de prévenir les pertes d’emplois massives et des dommages qui déstabiliseraient l’ensemble du secteur manufacturier, les gouvernements étasunien et canadien ont fourni une « aide » financière sans précédent : 85 milliards dollars pour permettre aux entreprises automobiles de se restructurer. Malgré ces aides étatiques (prêts de sauvetage), les entreprises n’ont pas pu s’en sortir, en 2009, Chrysler et General Motors se déclarent en faillite.
Le 18 juillet 2013, Detroit est la première grande ville étasunienne à demander à bénéficier d’une procédure judiciaire de mise en faillite. L’objectif pour la ville est de lui permettre de renégocier sa dette abyssale. En effet, la dette de la ville accumulée depuis des années, d’environ 18,5 milliards de dollars, est devenue impayable.
La municipalité répondant aux critères juridiques a pu se placer sous la protection du chapitre 9 |2| de la loi des États-Unis sur les faillites.
Selon le site Internet des tribunaux américains (US Courts) |3| http://www.uscourts.gov/FederalCour…, le chapitre 9 du code des faillites a pour but de « donner aux municipalités en difficulté financière une protection contre leurs créditeurs pendant qu’elles mettent au point et négocient un plan d’ajustement de leurs dettes. » Il vise à faire reconnaître le droit, pour un pays endetté en mesure de prouver son insolvabilité, de recourir à l’établissement d’une instance d’arbitrage neutre chargée de régler les différends qui l’opposent à ses créanciers. Le juge Rhodes, a déclaré en 2013 : « Le tribunal constate que Detroit était et est insolvable ».
L’ouverture de la procédure de faillite va permettre de suspendre le remboursement de la dette afin de la restructurer en allongeant la durée ou en réduisant les taux d’intérêt, voire d’en annuler un certain pourcentage de manière généralisée pour tous les créanciers.
Mais cette mise en faillite a de lourdes conséquences sur les habitants de Detroit. De fait, 7,8 milliards de dollars ont été économisés en réduisant les pensions de retraite (de 13% et même de 18 % pour les policiers et les pompiers en retraite. Cette mesure a sérieusement inquiété les travailleurs par ailleurs pénalisés pour leurs dépenses en matière de soins de santé.
Pour tenter de résoudre ce problème, la ville a versé 4,3 milliards de dollars aux groupes financiers des parties prenantes du VEBA |4|. En retour, ils versent un misérable montant de 125 dollars par mois aux retraités pour qu’ils puissent acheter l’assurance santé individuelle instituée par l’ « Obama care ».
Si le rapport de faillite cherche à récupérer 7 milliards de dollars auprès des retraités, il ne prévoit par contre qu’une récupération de 3 milliards de dollars pour la restructuration de la dette contractée auprès des créanciers de Wall Street, alors que ceux-ci touchent des intérêts de 13 %. En réalité, il n’y jamais eu d’enquête sérieuse sur les offres de crédits.
Grâce à son plan de sortie de la faillite, Detroit a pu négocier et restructurer finalement sa dette mais tout en réduisant le bien être de la population. En effet, le coût de la restructuration de la dette a été essentiellement supporté par la population, notamment les retraités qui pensaient avoir un avenir sûr. Les créanciers ont quant à eux été épargnés. C’est le cas des banques, Bank of America, JP Morgan Chase, Deutsche Bank, UBS, City, etc. qui ont été les premières bénéficiaires de ces opérations de renégociation.
Récemment un autre phénomène est venu aggraver la situation des habitants de Détroit. Les valeurs de marché des maisons de Detroit ont baissé de manière significative, mais cela n’a eu aucune répercussion en matière de fiscalité et d’échéances d’emprunts : les taxes d’habitation et les emprunts hypothécaires représentent toujours des charges très importantes qui étranglent les familles modestes.
À partir de 2015, 62 000 propriétés pourraient être saisies, dont environ 37 000 maisons occupées par des familles en situation d’impayées |5|. Les banques ont accéléré les procédures judiciaires en refusant de modifier les prêts hypothécaires.
Les maisons vont donc être saisies et les impôts dus à partir de 2012 vont être réclamés, en facturant des intérêts sur le solde impayé à un taux punitif de 18% par an ! Le législateur du Michigan vient de modifier la loi en donnant aux trésoriers du comté la possibilité d’abaisser l’intérêt annuel sur les taxes impayées de 18% à 6% (mais pour certains cas seulement).
Comme le souligne « Detroit Eviction Defense », pour sauver les quartiers, il faut garder les gens dans leurs maisons et arrêter le cycle d’expulsions qui provoquent la rupture sociale. Il faut mettre un terme aux saisies de maisons occupées et opérer une réévaluation du parc immobilier de la ville à des niveaux réalistes et annuler les arriérés d’impôts fondés sur un marché artificiellement gonflé.
Quel futur pour Detroit ?
Dans un appel lancé les 5 et 6 octobre 2013, l’Assemblée Internationale des Peuples contre les banques et contre l’austérité réunie à Detroit avait identifié les causes et désigné les responsables de la situation calamiteuse de Detroit et de ses habitants :
« À l’intérieur des frontières des États-Unis, Detroit constitue l’épicentre de la guerre déclarée par les banques à la classe ouvrière. Les quartiers de Detroit ont été détruits et 237 000 résidents ont été expulsés de la ville du fait du racisme et des frauduleux montages de prêts hypothécaires. Les banques ont fait souscrire des subprimes et des emprunts prédateurs à 73 % des propriétaires immobiliers, avec pour résultat plus de 100 000 saisies au cours des 10 dernières années.
Après avoir détruit l’assiette d’imposition de la ville, les banques ont soumis la ville elle-même à ces emprunts prédateurs, comportant des swaps de taux d’intérêt qui permettent aux banques de percevoir des intérêts à des taux 1 200 % plus élevés que le taux actuel des bons qui financent les villes |6|. La dette exorbitante que les banques ont imposée à la ville a servi de prétexte au gouverneur du Michigan pour faire un coup d’état en privant de tous leurs pouvoirs les autorités élues de la communauté afro-américaine, et en désignant un administrateur d’urgence non élu – dont la mission, de par la loi, est de garantir aux banques le service de la dette. »
Aujourd’hui, comme en 2013, les habitants de Detroit doivent agir collectivement pour exiger :
- L’annulation de la dette qui étrangle les écoles, les villes, les états et les campagnes.
- La garantie de l’emploi et des pensions pour les travailleurs des services des collectivités.
- La fin de l’administration d’urgence des villes et des écoles anti-démocratique et raciste.
- Une augmentation du financement des écoles publiques et l’arrêt du subventionnement des écoles par des fonds |7|.
- Un programme d’emplois financé par les banques pour que les chômeurs soient employés à la reconstruction des villes.
- Un moratoire sur toutes les saisies et sur toutes les expulsions consécutives aux saisies, car le logement est un droit.
- La répudiation de la dette représentée par les prêts étudiants, car l’éducation doit être gratuite et accessible à tous.
Laila Benzzi
Notes
|1| http://solidarity-us.org/site/about|2| Le régime américain des faillites réservé aux municipalités.
|3| http://www.uscourts.gov/FederalCour…
|4| Voluntary Employee Beneficiary Association
|5| Judge okay’s tax foreclosures on thousands of Wayne County families
www.detroitevictiondefense.org
|6| Aux États-Unis, les banques ont amené les collectivités à se financer au moyen d’un dispositif spéculatif, très rémunérateur pour les banques mais très risquée pour les villes et les États qui y ont recours. Les collectivités émettent des bons dans le cadre d’un montage spéculatif qui combine trois éléments clefs : des obligations à vue à taux variable (ou VRDBs : variable rate demand bonds), des lettres de crédit et un swap de taux d’intérêts.
|7| Les charter schools ou « écoles à charte » dont il est question ici sont des établissements scolaires privés sous contrats mais financés par des fonds publics et disposant d’une grande autonomie de fonctionnement.
Source : cadtm.org