Mon amie Sarah m'a envoyé un lien vers un article Toolito où sont répertoriées 20 fleurs insolites qui, en jouant avec l'effet de paréidolie, évoquent la forme d'une bouche, le motif d'un singe et… le profil d'un canard volant chez cette orchidée australienne, Caleana major:
Ca vous en bouche un coin-coin, n'est-ce pas? Difficile de reconnaitre la forme familière d'une orchidée chez cette fleur. Mais alors pourquoi ce profil de Donald si particulier? Est-ce qu'il s'agit d'une étape inconnue de transformation de fleurs en canards?
On ricane mais au XVIIème siècle, Claude Duret racontait à qui voulait bien l'entendre que certaines feuilles d'arbres d'Ecosse, en fonction qu'elles soient tombées dans l'eau ou sur la terre ferme, donnaient tantôt des poissons tantôt des canards…
Un récit au delà de tous soupçons, cela va sans dire… Bon, mais en ce qui concerne nos petites orchidées, vu qu'elles avoisinent les 15 à 20 mm de long, hissées sur une tige de 50 cm de hauteur, on obtiendrait des colibris tout au plus:
Nous nous leurrons à reconnaitre ici un bec de canard car s'il s'agit bel et bien d'un leurre, c'est en réalité un moyen d'attirer et accueillir son pollinisateur auquel la fleur promet une récompense d'ordre… sexuelle. A l'instar des orchidées du genre Ophrys qui bernent des guêpes mâles pour être pollinisées par pseudocopulation (parce que féconder un pétale, pour une guêpe, ça sert à rien…), notre orchidée canard attire des mâles de guêpes du genre pergidé (qu'on appelle des mouches à scie…) en émettant un parfum de femelle pergidé irrésistible qui les mène jusqu'au "bec", faisant office de plateforme d'atterrissage pour les mâles en ruts. Sauf qu'une fois posés, les vibrations générés par les guêpes font chuter brutalement la plateforme et coince les mâles à l'intérieur de la fleur.
Les mâles, en se débattant pour sortir, se retrouvent couverts de pollen. Si une autre orchidée berne de nouveau ce mâle pailleté de pollen, cette-fois elle se retrouvera fertilisée par le pollen de la première fleur. Et voilà, le tour est joué: les fleurs ont baisé au dépend de l'appétit sexuel du mâle pergidé… Un comble , non? Bon avec un peu de chance, ils vont pouvoir trouver de véritables femelles et les féconder (si elles ne se formalisent pas de leur manque d'hygiène et leur phytophilie malsaine):
Difficile cependant de trouver des images ou des films de cette supercherie en action chez Caleana major. On aura cependant plus de chance chez sa cousine, Paracaleana minor, légèrement plus abondante que Caleana major et qui dupe de la même manière des guêpes mâles de l'espèce Thynnoturneria armiger.
Bon là, selon moi, y'a plus un air de ressemblance avec un canard de cartoon genre Daffy Duck scalpé:
Les guêpes, elles, n'y voient qu'une femelle prête à être fécondée (elles ont beau avoir des milliers de mirettes, ça n'a pas l'air de les aider pour le coup… l'amour rend aveugle que voulez-vous…). Voici donc comment la pseudocopulation entre Thynnoturneria armiger et Paracaleana minor se déroule. Attention, ces images peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes vu qu'elles sont tirées du (méconnu) 50 nuances d'orchidées:
Et pour une vidéo, il faut se tourner vers les documentaires de la BBC dont l'excellent "The Private Life of plants" où un mécanisme similaire est décrit chez les orchidées du genre Drakaea qu'on nomme aussi "orchidées marteaux":
Et comme d'habitude, nous sommes accompagnés dans cette découverte par l'incroyable Sir David Attenborough:
Traduction:
Dans les landes d'Australie occidentale, des orchidées réalisent de charades sexuelles particulièrement complexes. Cette fois-ci, les victimes appartiennent à un groupe particulier de guêpes appelé Thynnidé. Au printemps, une femelle thynnidé émerge du sol sableux où elle se nourrissait de larves de coléoptères. Elle est maintenant prête à copuler. Quand on est fouisseur, il est compliqué de développer des ailes et elle n'en a pas, donc elle ne peut pas voyager loin. Mais le mâle lui peut voler car il chasse en volant avec ses ailes. Ils viendront à elle. Une fois installée, elle commence à émettre un message parfumé qui peut être détecté au loin grâce au vent. Ensuite elle attend, mais pas pour longtemps généralement. Un mâle l'emporte et copulera avec en plein vol.
Ceci n'est évidemment pas, à nos yeux, une femelle sans ailes: c'est une petite orchidée. Mais elle porte les signaux visuels qui indiquent 'femelle guêpe' pour le mâle guêpe. Non seulement ça, mais elle complète ses signaux visuels avec un parfum qui est pratiquement identique, chimiquement, à l'odeur émise par les femelles guêpes. Et cela suffit à berner le mâle. Regardez. Il va essayer de s'envoler avec elle. Mais comment cela aide l'orchidée à la pollinisation? La réponse tient dans l'ingénieuse construction mécanique de la fleur. La partie pourpre est le leurre 'femelle'. L'autre moitié possède une sorte de coupe où les étamines sont attachées à des patchs adhésifs. Une tête noire et un corps poilu est tout ce qui est visiblement nécessaire pour se déguiser en femelle. Le leurre est attaché à la fleur par une délicate mais robuste charnière. Quand le mâle essaie de porter ce qu'il présume être une femelle, il est propulsé vers le haut par ses propres efforts, et donc vers la coupe et les étamines. Mais la position du mâle doit être absolument correcte. Malgré l'enthousiasme déployé par ce mâle-ci, il n'est pas accroché de la bonne manière. Peut-être que cette fois-ci l'orchidée sera plus chanceuse. Visiblement, il y a un problème avec le mimétisme de cette orchidée: 2 mâles sont en train d'essayer en même temps. Ca y'est, les étamines sont accrochées sur son dos!
Il s'agit d'un processus tellement fascinant que Richard Dawkins l'évoquait dans ses cours de noël en 1991:
Finalement rien ne semble avoir changé aujourd'hui et les simulacres de copulation sont toujours aussi prisés!
Liens:
Article BoingBoing
Références:
Gaskett, A. C. (2011). "Orchid pollination by sexual deception: pollinator perspectives." Biological Reviews 86(1): 33-75.
Hopper S.D., Brown A.P. (2006) Australia’s wasp-pollinated flying duck orchids revised (Paracaleana: Orchidaceae). Australian Systematic Botany 19, 211–244.
Miller Joseph T., Clements Mark A. (2014) Molecular phylogenetic analyses of Drakaeinae: Diurideae (Orchidaceae) based on DNA sequences of the internal transcribed spacer region. Australian Systematic Botany 27, 3–22.