Qui ne s'est jamais demandé quelle empreinte, amicale ou amoureuse, il laisserait aux autres quand il ne serait plus? Et, inversement, qui n'a pas cherché un jour à se remémorer quelle empreinte les autres ont laissée en lui?
Parmi les empreintes que les hommes et les femmes se laissent les uns les autres, L'empreinte amoureuse est peut-être celle qui revêt le plus d'importance. Dans son roman éponyme, Mélanie Chappuis en fait l'objet de la quête de son narrateur, Bruno Richard.
Bruno a quarante ans. Il est journaliste. Il vient d'apprendre qu'il est atteint d'un cancer du foie, un cancer de vieux ou d'alcoolique, alors qu'il n'est ni l'un ni l'autre. De quoi s'interroger sur cet intrus indésirable et indésiré.
Bruno est un homme pressé, passionné, en recherche d'intensité. Toute sa vie personnelle en est l'illustration. Elle est pleine d'histoires sentimentales qui commencent bien, mais n'aboutissent jamais. A chaque étape de sa vie amoureuse, Bruno préfère en effet partir que durer.
Bruno n'a pas davantage envie maintenant de passer des années à se soigner et refuse donc de le faire. Mourir ne l'effraie pas. Traîner, puis agoniser, oui. Sa compagne depuis quatre ans, Marion, qui est comédienne, n'arrive pas à le faire revenir sur ce refus insupportable. Aussi le quitte-t-elle, la mort dans l'âme.
Le père de Bruno est diplomate suisse. Il ne reste que quelques années en poste dans chaque pays où il est envoyé en mission et il impose cette vie nomade et apatride à sa femme et à ses deux enfants, Bruno et Juliette, qui, à chaque fois, ont juste le temps de s'habituer et de se faire des amis quand le moment vient de s'en aller.
La rupture avec Marion fait réfléchir Bruno. Il se met à revisiter son passé. Il y cherche le pourquoi de cette rupture et le pourquoi de ce cancer qui s'est installé dans son corps sans crier gare et dont il ne veut pas. Ce passé se caractérise par une instabilité sentimentale et par une fuite devant la tiédeur, la longueur, l'habitude.
Certes, pendant toute sa vie, il a fait beaucoup d'efforts pour être aimé. Mais, il s'avère qu'il a finalement laissé une plus forte empreinte sur celles qu'il a aimées qu'elles n'en ont laissé sur lui, malgré qu'il en ait, à l'exception de Marion qui, en raison de son obstination à ne pas se soigner, vient de le quitter...
Pourquoi tient-il tant que cela à faire son bilan amoureux? On se le demande. Est-ce pour mourir avec ses souvenirs comme ceux qui, au moment de passer de vie à trépas, voient défiler leur existence en deux trois minutes? N'est-ce pas plutôt parce qu'il est bien vivant, qu'il veut en tirer leçon et qu'au fond il ne veut pas mourir?
Mélanie Chappuis s'est mise dans la tête et dans la peau de Bruno avec beaucoup de naturel et d'empathie. D'aucuns parmi ses lecteurs se reconnaîtront sans peine en cet homme parce qu'il émane de lui une grande authenticité humaine, magnifiquement observée et restituée.
Les notes que Bruno a prises a posteriori sur son errance dans le monde et dans sa vie personnelle, sont écrites dans un style fait de phrases courtes et incisives, petite musique intérieure qui rend parfaitement compte des méandres que suivent ses réflexions désordonnées.
Francis Richard
L'empreinte amoureuse, Mélanie Chappuis, 176 pages, L'Âge d'Homme
Livres précédents de l'auteur:
Des baisers froids comme la lune Bernard Campiche Editeur (2010)
Maculée conception Luce Wilquin (2013)
Dans la tête de... Luce Wilquin (2013)