Héctor Tobar, l’homme à qui les 33 mineurs chiliens se sont confiés (photo DR Doug Knutson)
Le 5 août 2010, 33 mineurs sont pris au piège dans la mine San José, près de Copiapó, au cœur du désert d’Atacama. Un éboulement monstrueux a coincé ces 33 hommes à 700 mètres sous terre. Aucun moyen de communication avec l’extérieur, pratiquement aucunes vivres, aucun moyen de savoir s’ils seront secourus. Et, le cas échéant, quand… Bref, pas ou peu d’espoir. Pourtant, ils vont tenir. Vivre. Survivre. Plus de deux semaines sans connaître ce qui se passe au-dessus d’eux, si des recherches ont démarré, en avalant à peine de quoi nourrir un moineau tous les deux ou trois jours et en buvant de l’eau mâtinée d’huile de moteur.
De ces jours passés en totale autarcie, les mineurs n’avaient encore rien dit, ou alors le strict minimum. S’ils devaient parler, c’était pour le faire ensemble ou pas du tout. Avant la sortie d’un film, dans lequel Antonio Banderas incarne le bouillonnant Mario Sepúlveda, les 33 ont raconté leur histoire à Héctor Tobar.
L’auteur de Jaguar et de Printemps barbare, lauréat d’un prix Pulitzer en 1992 pour ses reportages sur les émeutes de Los Angeles, il a pu s’entretenir avec ces trente-trois hommes mais aussi avec les proches qui ont vécu l’angoisse et le sentiment profond que, non, ils n’étaient pas morts. Sans oublier quelques officiels concernés au premier chef par cette catastrophe dont l’opération de sauvetage a passionné le monde entier.
« Les 33, la fureur de survivre » (éditions Belfond)
Avec son livre Les 33, la fureur de survivre, Héctor Tobar nous immerge dans la mine, aux côtés des 33 ; un ouvrage « validé » par les intéressés, contrairement à d’autres… Les doutes, les soutiens, les engueulades, les moments de communion, la faim qui tenaille, la santé qui vacille… l’auteur n’occulte rien. Et livre une somme de témoignages passionnants et totalement immersifs. Sans oublier de jeter un regard critique sur les suites de cette histoire.
Pour Chili et carnets, il revient sur l’écriture de ce livre.
Comment avez-vous gagné la confiance des 33 ?
Héctor Tobar : « La première chose, ça a été de m’intéresser à eux en tant qu’hommes, il fallait que je comprenne comment on devient, comment on vit en tant que mineur. Il ne fallait pas les voir comme des people, comme des personnages médiatiques ou comme l’objet d’un scandale. »
Comment se sont déroulés les entretiens ?
« Pour beaucoup d’entre eux, ça reste une expérience extrêmement traumatisante. Certains ont pleuré en me racontant ce qu’ils ont vécu, ces tremblements de terre sous-terrains incessants… C’était poignant. J’ai souvent pleuré avec eux. »
Qu’est ce qui vous a amené à écrire ce livre ?
« J’ai suivi, comme des millions de personnes, l’accident et le sauvetage par la télévision. A aucun moment je ne pensais que j’allais écrire leur histoire un jour. Mais, avec le temps, je m’y suis un peu plus intéressé. Et j’ai contacté leur cabinet d’avocats à Santiago du Chili. Ils m’ont organisé un rendez-vous avec tous les mineurs dans un restaurant de Copiapó. Le premier avec qui j’ai eu un entretien a été Richard Villarroel. Il m’a raconté ses peurs. Le plus difficile d’accès a été Victor Zamora. Au début, il a demandé de l’argent pour que l’on se rencontre. C’est quelqu’un qui a beaucoup de dettes… Mais il a fini par venir naturellement même s’il avait peur de rouvrir cette histoire. »
Ont-ils lu vos écrits ?
« Je leur ai envoyés. Il n’est pas encore traduit en espagnol mais je leur en ai fait une version traduite par mes soins. Ils ont été très positifs. Selon eux, je ne les montre pas toujours sous leur meilleur jour mais ils sont contents d’avoir raconté l’histoire qu’ils ont vécue. J’ai revu quelques mineurs lorsqu’ils sont venus à Los Angeles pour assister au tournage du film. Ils ont apprécié. »
Vous racontez le sauvetage et évoquez les mois qui ont suivi. Alors que les mineurs ont été présentés comme des héros, l' »après » semble avoir été négligé…
« L’attitude du gouvernement [le pays est alors dirigé par Sebastián Piñera, NDLR] a été très bonne jusqu’au sauvetage. Mais il n’y a pas eu de suivi psychologique derrière. Je pense que les mineurs se sont sentis abandonnés après ça. Heureusement, leurs familles étaient là. Mais pour beaucoup, cela reste difficile. Et, d’un point de vue sécurité, cela n’a pas changé grand-chose. Il y a eu des réformes, du travail sur l’inspection… Mais mineur, cela reste un métier très dangereux, surtout dans les petites mines du pays. »
Retrouvez un extrait du livre Les 33, la fureur de survivre, par Héctor Tobar (éditions Belfond, 414 pages, 21,50 €) ci-dessous.