Il existait en Charles Parker un moteur mental cyclique, une drive, qui parfois pouvait le faire foncer directement vers le mur.
Appelons cette drive, l'hyperactivité mentale.
Né au Kansas en 1920, il voit peu son père qui est d'abord pianiste, danseur et chanteur avant de travailler comme cuisinier et serveur dans les trains. Fils unique, Charlie voit sa mère travailler tous les soirs à la Western Union. Il est donc souvent seul. Il apprend le saxophone à son école secondaire et ne peut plus s'en passer. Il quitte l'école vers l'âge de 14 ans pour se consacrer entièrement à son saxophone.
En proie à une hyperactivité mentale parente de l'obsession, Parker pratique jusqu'à 15 heures par jour pendant 3 ou 4 ans sur son saxophone. Il se met à l'improvisation, inspiré par un ami tromboniste, style qui sera à l'origine du bebop.
Il joue dans les bars du Missouri sous l'influence du saxophoniste Buster Smith qui favorise les changements dynamiques qui doublent et triplent les tempos. Ce style fusionne avec les rythmes qui peuplent la tête de Parker. Il a 18 ans quand il part en tournée avec des bands qui font danser les villes de Chicago ou New York. Après un accident de voiture, Parker devient vite dépendant à la morphine. Cette dépendance mènera peu à un peu à une autre dépendance plus grave: l'héroïne.
Il a 19 ans quand il se prend un appartement à New York. Il y sera plongeur au Jimmie's Kitchen Shack ou Art Tatum s'y donne en spectacle de temps à autre. Le swing est un style qui fait danser les jeunes et que les blancs ont usurpés aux noirs. Parker, avec ses nouveaux amis, Earl Hines, Dizzy Gillespie, Thelonious Monk, Charlie Christian et Kenny Clarke essaient de créer un style que les blancs n'arriveraient jamais à jouer. Parker étudiera la musique avec Maury Deutsch.
Parker enregistrera sur trois étiquettes durant sa carrière: Savoy, Dial & Verve. Entre 1944 et 1950 il performe sur 14 albums chez Savoy. Entre 1945 et 1947 il performe sur 7 albums chez Dial. Entre 1946 et 1957, il performe sur 16 albums chez Verve.
Le style innovateur de Parker ne plait pas à tous. Encore aujourd'hui. Les jazzmens plus traditionnels rejettent son audace. Mais d'autres, Coleman Hawkins et Art Tatum entre autre, prêtent une oreille attentive aux jeunes créateurs de bebop. La radio ne leur fait pas vraiment de place dans les années 40 et la reconnaissance se fait rare. C'est en jouant avec Dizzie Gillespie, Max Roach, Bud Powell que l'impact devient plus substantiel sur l'univers sonore du jazz.
Le 26 novembre 1945, dans les studios de Savoy, Parker est à la tête de ce qui est considérée comme la session la plus fantastique de l'histoire du bebop. Gillespie, Miles Davis, Curly Russell à la base, Roach à la batterie, le line-up est fameux. Gillespie tente d'amener tout ce monde en tournée, mais celle-ci fait patate. le groupe se dissout en partie en Californie ou Parker y reste et profite de l'argent gagné en tournée pour l'investir en presque totalité dans l'achat d'héroïne. L'hyperactivité mentale a besoin d'huile.
Il devient si accro, qu'il mendie pour manger et emprunte de l'argent à des amis, argent qu'il ne rendra jamais. Quand la Californie manque d'héroïne, il compense dans l'abus d'alcool. En studio, il devient de plus en plus instable et incontrôlable. Il oblige des superperformances de la part de ceux qui l'accompagnent car il rate des mesures et improvise sur de nouvelles. Il est hospitalisé à quelques reprises pour sa santé qui se détériore et pour soigner ses dépendances.
Quand il sort de l'hôpital, il est sobre et se sent renaître. Élève de musique classique, il rêve d'enregistrer avec des section de cordes. Il fantasme de créer un style de musique qui fusionnerait parfaitement la musique classique et le jazz. Stravinski et Tatum.
Le 15 mai 1953, à Toronto, Parker est sur scène en compagnie de Gillespie, Bud Powell, Max Roach et Charles Mingus. au Massey Hall. Malheureusement, le concert est présenté le même soir qu'un populaire combat de boxe télédiffusé mettant aux prises Rocky Marciano et Jersey Joe Walcott. Peu de gens y assistent mais ceux qui y sont y découvrent un fameux son. Parker y jouera du saxophone en plastique, qui, à nouveau, innove dans la musique jazz. Mingus et Powell ont fait enregistrer le spectacle qui sera réédité sur disque en 2004 (pour mon plus grand bonheur).
Dans les années 40, Parker fait la rencontre de la danseuse et charmante amateur de jazz Beverly Dolores Berg (qui se fait appeler Chan sur scène). Ils auront une relation discrète pendant des années puisqu'il est noir et qu'elle est à moitié juive. Dans les très conservateurs États-Unis, une telle relation interraciale favorisait le mépris et la condamnation morale. Parker est officiellement marié depuis 1948, mais il considère Chan Berg comme sa véritable épouse. Ils auront un fils: Baird, baptisé ainsi du surnom que l'on prête à son père: Bird.
Quand Parker enregistre sur des disques ou il n'a, par contrat, pas le droit d'apparaitre, il est crédité sous le pseudonyme Charlie Chan. En hommage au personnage de Earl Derr Biggers et à la fois pour faire un clin d'oeil à sa charmante épouse.
Parker n'est plus toujours sobre. Il rechute de temps à autre. C'est chez la baronnesse Pannonica de Keonigswarter, mécène des musiciens de jazz, qui les accueillent régulièrement dans son appartement (Monk y habite les 6 dernières années de sa vie, Bud Powell y loge aussi souvent), qu'il écoute la télévision et rend l'âme le 12 mars 1955.
Les causes officielles du décès sont une pneumonie lobaire doublé d'un saignement d'ulcère, mais aussi une importante cirrhose qui ont, ensemble fait éclater son pauvre coeur. Le coroner qui autopsie son corps se trompe en pensant qu'il vient de travailler sur le corps d'un homme entre 50 et 60 ans.
Charlie Parker en avait 34.
Clint Eastwood tourne un brillant film sur sa vie et son impact sur le jazz en 1988.
Il y a 60 ans, le monde du jazz perdait l'un de ses plus grands innovateurs, aujourd'hui.