A l’heure où la nécessité d’une transition des entreprises françaises vers le numérique ne fait plus aucun doute, certains secteurs sont timides quant à l’utilité du Big Data dans leur fonctionnement.
Entretien avec Mathias Herberts, co-fondateur de Cityzen Data : une entreprise spécialisée dans la gestion de données en masse, réalisé dans le cadre du salon du Big Data qui s’est tenu à Paris les 10 et 11 mars.
L’Atelier : Vous avez conçu une plateforme Cityzen Data spécialisée dans le Big Data. Qu’est-ce qui en a motivé la création ?
Mathias Herberts : Nous sommes nés d’un besoin exprimé par un consortium spécialisé dans le textile intelligent, Smartsensing. Celui-ci, piloté par la société Cityzen Sciences, visait à intégrer des capteurs au sein des fibres textiles. Cette nouvelle pratique allait produire énormément de données (une heure de course avec un textile sur soi par exemple produit environ 200 000 mesures). Il s’agissait donc de déterminer que faire avec ces data. Nous avons alors réalisé qu’il y avait un véritable challenge avec la donnée ; d’autant plus qu’en 2011, aucun outil de traitement de données de ce type n’était présent sur le marché. Cela nous a motivé à foncer.
En plus des textiles, nous avons réalisé que notre outil s’appliquait aussi à toutes les données issues de capteurs. Début 2013, nous avons donc créé une plate-forme indépendante dédiée à la collecte, à l’historisation et à la manipulation de données issues de capteurs.
L’Atelier : Quels sont les domaines qui boudent le Big Data et qui pourtant auraient tout intérêt à s’en servir?
Mathias Herberts : La presse, par exemple. Ce secteur a du mal à se positionner et il ne s’est pas encore posé la question de savoir ce que la data pouvait lui apporter. Citons néanmoins Ouest France qui a annoncé un investissement de plusieurs dizaines de millions d’euros pour opérer une transformation numérique tournée vers la data.
Il existe également des secteurs très traditionnels sur lesquels un travail s’opère mais de manière très molle. C’est le cas de l’automobile, ralentie par son marché de renouvellement. Les améliorations apportées aux nouveaux véhicules introduisent la gestion de la data mais avant que cela ne se propage dans le fonctionnement global de cette industrie, cela risque d’être relativement long.
L’Atelier : Une récente étude réalisée par The Economist indique que nombreuses sont les entreprises qui peinent à utiliser leurs données de manière “smart”, partagez-vous ce constat ?
Mathias Herberts : L’informatique en France dans les grandes entreprises comme les banques ou les assurances, a longtemps été sous-traitée et considérée comme activité annexe. Or, dans l’ère nouvelle du Big Data, cela doit davantage être intégré au cœur des métiers. La bonne analyse de données nécessite trois points cruciaux : La collecte des données, des personnes capables de réfléchir avec ces données (data scientists, data ingénieurs) et une maîtrise de ces nouvelles technologies. Les entreprises hésitent encore à intégrer ces deux derniers points au sein de leur fonctionnement. Et celles qui font exécuter ces prestations à l’extérieur encourent un risque : le cœur du métier échappe petit à petit à ces entreprises, pour atterrir chez des acteurs externes qui deviennent colporteurs de l’innovation dans tout un secteur. Et quelle différentiation peut-on avoir si le même acteur va colporter l’innovation chez tous les acteurs du même secteur ?
Il faut que les entreprises prennent conscience du potentiel d’une bonne utilisation du Big Data. Malheureusement, le chemin pour mettre en place le processus et changer les organisations est encore long. Encore trop d’acteurs d’entreprises pensent que l’arrivée de la donnée et sa mise en place automatique pourrait mettre en péril leur légitimité.
L’Atelier : Comment les convaincre ?
Mathias Herberts : Certaines personnes se sentent propriétaires des données de leur périmètre de métier. Et au sein des entreprises, elles ne sont pas enclines à les partager. Les dirigeants de l’entreprise se doivent de mettre en place une gouvernance des données, en faisant changer l’état d’esprit des gens dans les différents secteurs de l’entreprise. Il s’agit d’expliquer qu’ils ne sont pas propriétaires de ces données mais qu’ils en sont responsables. L’idée c’est de décloisonner tous ces périmètres.
L’Atelier : Est-ce que la France possède les ressources et le potentiel nécessaires pour faire du Big data un élément stratégique pour ses entreprises ?
Mathias Herberts : La France possède un fort potentiel mais il n’est pas là où on le croit. La relation entre grande entreprise et prestataire de service qui fait ce qu’on lui demande, ne fonctionne pas dans la logique du Big Data. Il faut plutôt se diriger vers des logiques d’open innovation où une collaboration entre grands groupes et start-up peut s’établir, notamment des start-up dont le business repose sur leur efficacité dans un périmètre donné : de la fraude de crédit, de la prédiction, ou de la co-création de produits.
L’Atelier : Justement, quel est le rôle des start-ups dans l’industrie du big data ?
Mathias Herberts : Les start-ups sont des acteurs majeurs de l’industrie du Big Data. Les métiers qui découlent du Big Data nécessitent à la fois de la technicité et un haut degré scientifique. Tous ces services autour de la donnée (prédiction, détection d’anomalies, scoring) sont des choses qui mettent du temps à se construire. Ce sont des domaines sur lesquels une start-up avec une vision de départ - aidée par un grand groupe pour lui peut apporter un terrain d’expérimentation pour essayer de la faire arriver à maturité - peut s’imposer. C’est comme cela que les start-ups vont s’insérer dans l’écosystème et je vous assure que leur présence ne va faire que croître.