Magazine Culture
On a connu Philippe Djian
plus en forme, même dans des romans aussi déprimés que Love song. Après avoir abandonné le point-virgule, il a aussi
laissé tomber le point d’interrogation – à une exception près dans ce roman,
mais c’est dans un titre de chanson. Il est permis de s’interroger sur la
pertinence de ces choix radicaux et par ailleurs tout à fait honorables, mais
qui ne semblent pas apporter quoi que ce soit à son écriture. Heureusement,
celle-ci est toujours électrisée, au moins par instants, ce qui permet à un
roman moyen signé Philippe Djian d’être plus intéressant que le meilleur roman
de… non, pas de délation !
Love song, c’est un peu comme s’il s’agissait d’écrire un livre répondant à un
certain nombre de critères de lisibilité et de narration, et peu importe
comment remplir les cases. La contrainte (imaginée par le lecteur) ressemble
aux pressions exercées sur Daniel par sa maison de disques. Il a connu de
grands succès mais, à la cinquantaine, Daniel devrait, lui explique-t-on,
prendre le virage de chansons moins sombres. Mieux formater ses compositions
pour répondre à l’attente supposée du public…
Il n’a pourtant pas
l’esprit à la rigolade, Daniel, depuis que Rachel l’a quitté pour un musicien
sans grandes qualités. Une double peine, en somme. Et les choses ne vont pas
aller en s’améliorant, vous découvrirez pourquoi après avoir cru, comme tout le
monde, que la situation s’apaisait au retour de Rachel. Enceinte du musicien en
question, quand même…
Daniel a des amis qui,
comme font la plupart des amis avec les meilleures intentions du monde, lui
donnent parfois des conseils. Ils s’ajoutent aux recommandations artistiques de
sa maison de disques. Rien de tout cela n’est bon pour son moral. Il est un
créateur, qu’on le laisse créer selon ses humeurs ! Et soigner les
blessures – les siennes, celles des autres – à l’instinct.
L’instinct, une fois de
plus, ne se révélera pas la ligne de conduite idéale. Un accident qui n’en est
peut-être pas tout à fait un provoque la mort de l’homme que Daniel déteste le
plus. Un enchaînement de circonstances le conduit à tuer, ou presque, son
meilleur ami et, dans la foulée, le seul témoin de ce geste charitable. On a
dit : « presque ». Mais l’intention est là, avec son cortège de
remords par anticipation qui font des nœuds douloureux dans le ventre.
Décidément, Daniel n’est pas un marrant, pas davantage dans la vie que dans ses
chansons. Malheureusement pour lui, il a conscience de ne pas être Leonard
Cohen. Du talent, certes, du génie, probablement pas.
Il n’est pas interdit, même dans ces conditions,
d’espérer une sorte de rédemption. Allons-y donc, cahin-caha, sans ennui ni
enthousiasme, sur le chemin que Philippe Djian a tracé paresseusement.