Dénoncée par les opposants au barrage du Tarn, la céréale est ardemment défendue par l'industrie agroalimentaire. Et si la plante n'avait tout simplement rien à faire en France ?
(Crédit photo : Renaud Camus - Flickr)
Vendredi 6 mars, le conseil général du Tarn a tranché : le barrage de Sivens sortira de terre. Pour quoi faire ? Depuis le lancement de ce projet, aux dimensions désormais incertaines, ses opposants, l’eurodéputé Europe Ecologie - Les Verts José Bové en tête, dénoncent inlassablement « un cadeau au lobby des maïsiculteurs ». Ses partisans, FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) au premier plan, s’en défendent, soulignant la présence de maraîchers dans les rangs clairsemés des potentiels bénéficiaires. Reste que les grandes cultures – céréales, oléagineux, protéagineux… – occupent 40% du bassin versant du Tescou, cette zone agricole qui pourrait tirer profit du barrage. Et malgré un net recul, le maïs s’étend à lui seul sur 1 670 hectares, selon le rapport du conseil général du développement durable (Voir P. 12). Les racines du conflit sont donc, en partie, à chercher entre les épis.
Le maïs, la culture qui consomme le moins d’eau ?
Réputée goulue en eau et en engrais, la deuxième céréale cultivée en France – derrière le blé – fait tiquer les défenseurs de l’environnement. Face à ces critiques, l’industrie agroalimentaire fait bloc. « Le maïs est la culture qui consomme le moins d’eau. C’est une plante qui produit le plus d’énergie à l’hectare, c’est une utilisation optimale des talents de la nature », assurait, le 23 février dernier, au micro de France Inter, Christian Pèes, le président de la coopérative agricole Euralis, également agriculteur céréalier.
Le maïs serait donc la plus sobre des céréales ? Le ballet des jets d’eau qui accompagne toute ballade estivale dans le Sud-Ouest suggère l’inverse. « Le blé consomme plus, le soja consomme plus : toutes les plantes consomment plus que le maïs, a maintenu Christian Pèes sur France Inter. Simplement, lui, il consomme l’eau en été. » Les chiffres de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) lui donnent presque raison. Sur l’année, le maïs sirote 5 750 mètres cubes d’eau par hectare (soit l’équivalent d’un peu plus de deux piscines olympiques), alors que le soja en boit 6 370 mètres cubes. Il est en fait au coude à coude avec le blé, qui réclame ses 5 500 mètres cubes annuels. Et s’il dépasse largement le sorgho, qui n’a besoin que de 4 750 mètres cubes, il est sans conteste dans la fourchette basse des plantes assoiffées.
« Au niveau de l’équateur, cette culture est bien adaptée »
Le hic, c’est que ces estimations, faisant fi des saisons, ne disent rien de la compatibilité du maïs avec le climat français. « Contrairement au blé qui pousse en hiver, le maïs a besoin d ’eau en été, lorsque la ressource est la plus rare », précise Simon Giuliano, ingénieur de recherche à l’école toulousaine de Purpan et spécialiste des productions végétales. « Et comme le maïs valorise très bien la lumière, on le cultive surtout dans le Sud, là où, en été, le stress hydrique est le plus fort. » Ainsi, sur les 3 millions d’hectares de maïs qui poussent sur le sol français, 600 000 sont irrigués, selon l’association générale des producteurs de maïs (AGPM). « A la saison chaude, des régions se retrouvent en pénurie d’eau et la biodiversité en pâtit », soupire Jean-Claude Bévillard, vice-président de France Nature Environnement (FNE) chargé de l’agriculture. Alors certes, le même maïs pourrait pousser sans perfusion mais « sa rentabilité serait menacée », explique Dominique Graciet, président de la chambre d’agriculture d’Aquitaine. Dans sa région, où le maïs est « la plante reine », il estime que « la construction de retenues pour recueillir les précipitations hivernales est indispensable »
« Le maïs est une plante tropicale qui aime la chaleur et l’humidité », rappelle Jean-Claude Bévillard. « Au niveau de l’équateur, là où il pleut toutes les nuits, cette culture est bien adaptée », renchérit Josian Palach, représentant national de la Confédération paysanne. Mais en France, pays pluvieux quand il fait froid et sec quand il fait chaud, la culture du maïs s’éloigne de l’« utilisation optimale des talents de la nature » vantée par Christian Pèes.
L’affirmation du président de la coopérative agricole Euralis « est correcte si l’on se place dans une logique purement industrielle, précise Jean-Claude Bévillard. Eau, lumière, engrais : le maïs utilise au mieux les sources d’énergie qui sont à sa portée. » Les spécialistes de la céréale vantent sa photosynthèse très efficace en « C4 », sa résistance aux milieux saturés en CO2 et sa capacité à tirer partie des « apports azotés » – entendez les engrais. Du côté des professionnels du maïs, Jean-Paul Renoux, membre de l’AGPM et auteur du livre Le maïs, une plante pour l’intensification écologique (Editions France Agricole, 2014), confirme. « La maïsiculture est très efficiente, même sans irrigation. Sa production peut être supérieure de trente quintaux à l’hectare à celle du blé », affirme cet ardent partisan de l’épi. Les performances du maïs sont encore plus impressionnantes lorsque l’homme intervient. Sur certaines parcelles d’Aquitaine, l’irrigation double les rendements. De quoi être tenté d’en abuser.
Erosion et infiltration de produits chimiques
Les superpouvoirs du maïs, très prisés dans un contexte de course aux rendements et de tension sur les prix des céréales, ne sont pas innés. « C’est sans doute l’espèce végétale qui, dans le monde, a été la plus modifiée par l’homme », explique Simon Giuliano. Au point d’en cultiver partout ? Il y a tout juste un an l’Algérie se félicitait de voir aboutir sa première expérience de récolte de maïs. « Tout l’effort de sélection variétale porte aujourd’hui sur le stress hydrique », explique Jean-Paul Renoux. Car n’en déplaise à Christian Pèes, le maïs n’est pas encore la plante suprême. « Le Sorgho a des capacités similaires pour deux fois moins d’irrigation », souligne Simon Giuliano.
Au défi de l’eau s’ajoute celui du sol. Si le maïs est capable de pousser sur des sols peu fertiles et peu profonds, comme le sable des Landes, il est loin d’en faire un usage optimal. « Le problème du maïs, c’est sa longue période d’interculture : il laisse les sols à nu d’octobre à avril, explique Simon Giuliano. Cela pose des problèmes d’érosion, facilite l’infiltration des produits chimiques. Pour l’environnement, c’est très néfaste. » Seule parade : la rotation, c’est-à-dire planter des cultures d’hiver– blé ou légumes – entre deux récoltes. « Le maïs n’est pas mauvais en soi, c’est la monoculture et l’intensif qui posent problème », souligne Jean-Claude Bévillard. Comme pour l’eau, sa forte sensibilité aux fertilisants n’incite pas à la modération.
Une fois le maïs produit, reste à scruter ce qu’on en fait. Déjà bancal, l’argument de « l’utilisation optimale » des ressources s’effondre. « Le principal débouché du maïs est l’alimentation animale », reconnaît l’AGPM. « Or, pour produire une calorie animale, il faut entre quatre et douze calories végétales », rappelle Jean-Claude Bévillard (source FAO). Face à l’enjeu alimentaire mondial, le maïs, par l’usage qui en est fait, est loin d’être optimal. Pire encore, il ne couvre pas tout les besoins de l’animal. « Pauvre en protéines, il réclame d’être combiné à un autre aliment, par exemple le soja, souvent importé et parfois génétiquement modifié », explique Simon Giuliano. A ce stade, « les talents de la nature » sont sortis de l’équation.
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Par
AMÉLIE MOUGEY
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