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Dimanche dernier, c'était la journée de la femme. Pour l'occasion, le cycle de rencontres littéraires Mahogany March se terminait avec les onze auteures sur douze ayant participé à l'écriture de Volcaniques, une anthologie sur le plaisir dirigée par Léonora Miano. Cette note est un petit compte rendu sur cette présentation de ce livre qui a eu lieu au Musée Dapper...
Quand j’entre dans la salle, trois personnes sont sur les planches. Une slameuse. Un bassiste. Une danseuse. Je devine que la poète doit sûrement être Silex. Il y a trois mouvements sur scène. Le son, ce rythme et ce blues, il est vraiment bien joué par ce jeune guitariste. La danseuse, elle, emprunte beaucoup au hip-hop. Enfin, c’est avant tout une expression corporelle singulière. Parfois, grotesque comme certaines de ces danses venues d’Afrique centrale, très bestiales. Puis le corps s’apaise pour laisser entendre les mots, le verbe de Silex. Je sens que l’ambiance va être très chaude. Le ton est donné. Silex tranche.
Après cette entrée en matière, Léonora Miano revient sur l'origine du projet. Volcaniques est une suite de la première anthologie Première nuit qui a vu plusieurs hommes se réunir autour de la romancière camerounaise, sur le thème du désir. L’idée : Rassembler des discours d’auteurs de la diaspora africaine, d’ascendance africaine autour du corps et de l’intimité avec un objectif : aller le plus loin possible dans la subjectivité des personnages. Dans le projet littéraire de Léonora Miano, on l’aura compris, l’intime et le corps sont un prétexte.
Vu sous cet angle, l’approche parait originale.
Léonora Miano souligne une autre raison tout aussi importante. Il n’y a pas, à son sens, assez de travaux collaboratifs du point de vue de la fiction chez les auteurs africains et caribéens. Du moins, elle a peu été associée à ce type d’initiatives souligne-t-elle tout en envoyant un mawashi geri comme elle sait très bien le faire à la génération précédente de romanciers francophones qui peinent à lâcher le joystick. Il est donc important de faire des choses ensemble. Il y a une intention politique qui traduit concrètement son attachement à une philosophie panafricaine globale. Qui a lu Léonora Miano, en particulier sa Suite africaine, comprendra de quoi il retourne. Et c’est là, un des mérites de cette auteur. Une cohérence parfaite dans un projet littéraire cohérent ou chaque pierre renforce un édifice.
A la question très pertinente de Nafissatou Dia Diouf de savoir pourquoi les hommes d’abord, les arguments de Miano sont intéressants et me renvoient à des mots de Gaston Kelman dans son traité devenu mythique Je suis Noir et je n’aime pas le manioc. La réception des oeuvres littéraires produites par des hommes d’ascendance subsaharienne dans l’espace de la Métropole est beaucoup moins important que pour les femmes venant du même espace. Je n’y avais pas pensé. Gaston Kelman, dans son mythique ouvrage, qui en son temps bouleversa la société française, explique que l’intégration des jeunes femmes venant des banlieues sensibles et surtout des minorités dites visibles est plus importante que celle des hommes aux mêmes caractéristiques ethniques, raciales et de classe d’âge. Preuve à l’appui, Léonora Miano montre l’intérêt porté à cette anthologie écrite par des femmes venues des tropiques et colorées en comparaison du peu demande que la première anthologie a suscité. Le choix de l’éditeur Mémoires d’encrier répond également à un engagement précis : Parce qu’il est montréalais et haïtien. Pas besoin pour ce type de projet de passer par les éditions Grasset.
Un dernier point. Les hommes ont biaisé. Du moins certains selon l'initiatrice du projet. Le thème du désir leur a permis d’éviter le propos tangent sur l’érotisme et d’aborder de manière plus frontale le corps à corps, le match érotique dans toute son ampleur.
Concernant les auteures, quasiment toutes présentes, elles devaient répondre à trois questions : Pourquoi avoir accepter de participer à un tel projet ? Quel esthétique? Pourquoi ce personnage?
La première question n’a pas donné lieu à des réponses intéressantes, si ce n’est une célébration de la directrice de projet… Quoi de plus normal, vu sa notoriété.
Extraits de paroles
Gisèle Pineau.Tous ses personnages ont un corps et elles « vivent avec ». Elle écrit beaucoup avec ses sens. On pense à Chair Piment. Dans le projet d’anthologie du plaisir, c’est ce mot plaisir (Gisèle Pineau) qui m’attiré. Ce sont des générations différentes que je voulais mettre en scène et produire une chambre d’écho entre ces classes d’âge.
Marie Dô, est la première danseuse française de l’Alvin Ailey Theater. « Mon rapport à l’Afrique. Je n’ai pas connu mon père noir. Je suis donc dans une recherche d’Afrique. Le projet collectif présentait cet intérêt de rassembler des auteurs venant de là-bas. Mon esthétique? J’aime beaucoup la poésie et comme une caméra au plus près de la peau. Pas de gène dans le traitement. Volcaniques je suis par mon métissage à la fois Africain et Russe. Mon personnage est un double littéraire. »
Gilda Gonfier. « Je ne pouvais pas dire non à un cadeau. C’est une chance pour moi, une opportunité avec beaucoup de peur. Léto (le personnage principal), c’est moi. »
Hemley Boum. « J’ai un goût immodéré pour la littérature érotique. En plus, cela correspondait à une période assez sombre de ma vie… Concernant ma nouvelle, je suis partie sur l’initiation et le plaisir solitaire. La découverte du corps loin des regards et de la société avec un petit ami et la littérature érotique. »
Gael Octavia. « Je ne voulais pas parler de moi, mais je souhaitais plutôt aborder l’adolescence. Des choses imperceptibles prennent une ampleur intéressante à cette période de la vie. »
Elisabeth Tchoungui. « Pourquoi ? J’avais arrêté d’écrire. Et j’aime écrire sous la contrainte. Le projet m’a redonné l’envie d’écrire. Esthétique ? La dualité : Très dur est le milieu de travail / Très douce est la sensualité - J’ai choisi le cadre africain : Il y a une pression et une prédation sexuelle plus forte en Afrique. »
Silex. « Je fais de la contamination quand on m’invite, je viens faire mon job. » Le personnage est né du voyage.
A propos de Silex ; Léonora Miano : « Il me fallait un texte qui ne soit pas une nouvelle. Silex est slameuse. C’est un texte subtil qui se mérite. L’éditeur, un homme, n’a pas tenu à respecter le format du texte de Silex»
Nafissatou Dia Diouf. « J’ai pris le temps de la réflexion. Je viens d’une société très pudique. C’était une occasion pour moi à saisir. L’esthétique : La schizophrénie. Elle laisse s’exprimer secrètement un moi profond la nuit qu’elle n’arrive pas à vivre le jour. Bilguissa : Vivre ses pulsions.
Axelle Nja Jikwé. « Léonora Miano m’a travaillée au corps. J’ai été biberonné à la littérature érotique. Sur la littérature érotique féminine. L’esthétique? La sensorialité. C’est volontairement cru. Le sexe à mes yeux est jouissif, réjouissant. Maya. Côté solaire. Sa sexualité relève de l’estime de soi. »
Nathalie Etoké. « J’étais en année sabbatique. C’état non catégorique, d’abord. Puis oui, à force. »« Je suis très influencé par l’ambiance dans laquelle je vis aux Etats Unis. Le café, c’est ma part vraie. »
Léonora Miano. « Esthétique de la sécheresse. J’ai voulu m’éloigner de l’humidité quand on brode sur ce sujet. Auto analyse? La première fois. Contrainte. L’expérience du viol est assez banale. On devrait pouvoir le dire, mais ce n’est pas possible. »
Chaque lectrice a ensuite lu un extrait de sa nouvelle.
Volcaniques : Une anthologie du plaisir dirigée par Léonora Miano
Collaboratrices : Hemley Boum, Nafissatou Dia, Diouf, Marie Dô, Nathalie Etoke, Gilda Gonfier, Axelle, Jah Njiké, Fabienne Kanor, Gaël Octavia, Gisèle Pineau, Silex, Elizabeth Tchoungui, Léonora Miano.