Bon, je sais, je l’ai déjà dit cent fois. Mais cette fois, c’est vrai (oui, je sais, ça aussi, je l’ai déjà dit cent fois). Passer son temps à vouloir guérir, c’est très bien, mais ça apporte pas mal de déceptions, aussi. Parce que chaque fois qu’on retombe malade, on se dit « non, je croyais que c’était enfin fini, c’est trop dur, c’est pas juste, j’en peux plus, j’en ai marre de la vie, etc etc ». Bon, au début, c’est normal de penser comme ça. Après trois ou quatre rechutes, un peu moins. Mais la vie étant ce qu’elle est, et l’être humain étant ce qu’il est, on n’aime pas les mauvaises nouvelles et encore moins les maladies dont on ne guérit pas. Là, j’entends déjà les protestations, donc je précise tout de suite que je ne parle que pour moi, et pas au nom de la science et de la schizophrénie en général. Disons qu’après vingt ans de maladie (ou presque, à ce stade, on n’est plus à six mois près), il faut commencer à se faire une raison. Ce n’est pas parce que je vais bien six mois, deux ans, cinq ans, que je vais aller bien toute ma vie. Et ce n’est pas parce que je vais bien pendant cinq ans que je peux espérer arrêter mes médicaments. Ce qui m’est venu à l’idée il y a un an, je l’avoue. Où en est mon beau projet aujourd’hui? Nulle part, évidemment. Parce qu’entre temps, ça a été la rechute, retour chez la psychiatre toute les semaines, discussion je ne veux pas aller à l’hôpital marquez-le dans mon dossier pour être sûr avec mon généraliste, ventre qui se tord quand il est gentil avec moi en pleine détresse avec mon poignet coupé comme à la grande époque. Alors, bien sûr, les choses ne sont pas les mêmes. Toutes ces années m’ont quand même mis un peu de plomb dans la cervelle. A savoir, ne plus être trop désespérée/culpabilisée/détruite quand la maladie fait son retour, avoir compris que ce n’était pas une question de justice ou pas mais que c’était la vie/c’est comme ça/c’est pas facile/tout le monde a sa croix à porter, ne plus m’embêter avec un traitement et des médecins qui ne me conviennent pas, savoir demander de l’aide et pas attendre qu’elle tombe du ciel (pensez, j’ai même téléphoné à ma psychiatre pour la première fois de ma vie quand ça n’allait pas et demander à voir mon généraliste pour parler avant d’aller travailler, deux choses totalement dingue pour moi qui attendait sagement les prochains rendez-vous même quand ils avaient lieu quinze jours après et que j’étais au bord du suicide, après tout on nous dit assez dit ne pas embêter les services d’urgence pour rien, et quand il n’y a pas une hémorragie qui éclabousse les murs, pour certains, ben c’est rien, et hors des urgences, on n’ennuie pas les médecins avec ses problèmes, on attend).
Bref, avant d’arrêter mes médicaments, je voulais arrêter de faire des cauchemars à propos de la schizophrénie et de la psychiatrie. Je voulais que mon passé arrête d’être traumatisant. Comme m’avait dit un ancien psychiatre dans sa grande sagesse, alors que j’étais pas en top top forme à l’époque (euphémisme pour dire que je traînais une schizophrénie devenue chronique mais je n’étais plus en crise aiguë depuis quelques mois), vous pourrez arrêter vos médicaments quand vous n’y penserez plus. Difficile de ne plus penser à une maladie qu’on se traîne au quotidien, mais bon. Je crois qu’en langage psy ça veut dire « c’est dans ta tête, t’es pas malade ». Toute contente, je me suis dit cool, suffit de ne plus y penser, essayons ça. Mais à force d’essayer de ne pas y penser, on ne pense que ça, vous pensez bien. Donc, quinze ans, après, n’étant pas parvenue à ne plus y penser, j’étais toujours sous traitement mais parfaitement bien en dehors de mes cauchemars assez éprouvants, présents surtout quand j’oubliais de penser à la maladie. Et je rageais de ne pas pouvoir échapper à cette douleur, cette souffrance qui ne passe pas malgré le temps, et chaque cauchemar était un échec de plus. Je me suis donc dit que j’allais trouver une nouvelle psychiatre et que, magie, elle allait me délivrer de mes cauchemars. Et que comme je ne penserais plus à la maladie, ben je pourrais arrêter mes médicaments (oui, le « c’est dans ta tête » a laissé des traces malgré tout). Entre temps; rechute et augmentation de médicaments. Adieu mon rêve de « ça y est, je suis guérie ». Et les cauchemars étaient toujours là. Et moi de continuer à me plaindre: pourquoi je ne peux pas arrêter de souffrir de ça, pourquoi j’y pense encore, pourquoi les autres événement douloureux du passé ne me font plus de mal et que je n’arrive pas à passer outre de la maladie, blablabla… Jusqu’à ce que ma psychiatre me dise « ce n’est pas la même chose qu’un chagrin d’amour. Vous avez pensé que vous pourriez en souffrir toute votre vie? ». Phrase pas très rassurante s’il en est, mais il faut bien avouer qu’elle a raison. Et depuis que j’ai admis ça, je fais toujours des cauchemars, mais ils ne m’affectent plus. Ils font partie de ma vie, voilà tout. C’est ma souffrance, ma croix à porter, et ça ne va pas disparaître en n’y pensant plus. Ca ne sert à rien de vivre chaque cauchemar comme un échec. Ils n’en sont pas. La schizophrénie, la psychiatrie, c’est pas un chagrin d’amour, on ne s’en remet pas si facilement. On a le droit d’être traumatisé.
Donc, voilà pourquoi je répète encore une fois que cette fois j’arrête de vouloir que ça s’arrête. Je n’arrête pas d’essayer d’aller mieux. J’arrête de ressentir chaque rechute, chaque mauvaise journée, chaque cauchemar comme un échec. Je n’ai pas à culpabiliser, à croire que c’est un retour en arrière. Je suis toujours malade mais je ne suis plus la même qu’il y a quinze ou vingt ans. Je n’ai pas les mêmes symptômes, je n’ai ni les même soignants, ni le même traitement ni les mêmes armes. Ce n’est pas facile pour autant. Mais c’est ma vie, et je fais avec.
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