Au cours d’un séjour au Maroc et au contact quotidien d'une famille de Fès, j’ai été frappé par trois traits dominants de la vie locale : la misère et la pauvreté*, l’omniprésence du poids de l’orthopraxie musulmane, la précarité extrême de l’emploi associée à la faiblesse des qualifications.
J’en ajouterai un quatrième qui ne surprendra personne. C’est la fascination qu’exerce l’attrait pour la France, et le rêve de l’émigration vers ce pays où « il suffit de se baisser dans la rue pour ramasser les billets. » - sic.
Trois traits, trois images. La présence visible des bidonvilles dans l’urbanisme ; il m’était interdit d’entrer dans l’appartement de nos amis sans prévenir afin de laisser le temps aux femmes de mettre leur voile ; Saïd, marié avec deux enfants en bas âge, partant à pieds dans ses baskets éculées à l’aube chaque matin pour trouver un travail pour la journée.
Le 8 février dernier, Le Monde révélait avoir eu accès aux données bancaires analysées par 154 journalistes de plus de 100 000 évadés fiscaux clients de la banque suisse HSBC au cours des années 2005-2007 (Source lenouvelobs du 9 février). Le montant de ces fraudes était estimé à 180 milliards d’euros.
Parmi les évadés le plus célèbres figuraient deux monarques : le roi du Maroc Mohammed VI, et le roi de Jordanie Abdallah II.
Le Monde rappelait qu’"il est en principe illégal, pour des Marocains résidant au Maroc, de détenir un compte bancaire à l’étranger. Le roi Mohammed VI est pointé du doigt pour avoir ouvert un compte à la HSBC en 2006 avec cinq comptes bancaires approvisionnés en 2006/2007 à hauteur de 8 millions d'euros. Une somme à mettre certes en regard de la fortune du monarque estimée en 2014 par le magazine "Forbes" à 1,8 milliard d’euros."
Quant au roi de Jordanie qui défilait en tête de cortège à Paris le 11 janvier pour défendre Charlie Hebdo et la liberté d’expression, ce sont des frais de bouche à hauteur de 41,8 millions de dollars « destinés à des affaires toutes à fait officielles » selon ses avocats, qu’il cache sous l’oreiller de HSBC.
Bien d’autres têtes couronnées du Moyen Orient apparaissent dans cette liste aux côtés de "trafiquants d’armes ou de stupéfiants, des financiers d’organisations terroristes, des politiciens, des vedettes du showbiz, des icônes du sport ou des capitaines d’industrie", écrit "Le Monde". Mais aussi des "diamantaires belges", "des protagonistes de l’affaire Elf" ou "de nombreuses familles juives dont les avoirs avaient été mis en lieu sûr, en Suisse, au moment de la montée du nazisme en Europe".
Or ces fortunes accumulées par ces seuls monarques ne tiennent pas du simple désir de dissimuler des fonds pour assurer les beaux jours d’une descendance exposée aux risques de l'exil. Elles constituent, avec les ressources pétrolières, les deux pôles autour desquels s’organise l’économie des pays du Moyen Orient.
Voici quelques notes transcrites de l’émission de Sylvain Khan Planète terre le mercredi 28 janvier sur France Culture; dont l’invité était Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient
* …associée à une démographie galopante, dont je n’ai pris véritablement conscience de l’explication que tout récemment : le principe de l’interdit de l’avortement
Les révolutions arabes ont-elles de l’avenir au Moyen Orient ?
Ecouter l’émission : Planète Terre
L'ensemble de l'émission est passionnante. Après la définition de l'ensemble des pays qui constituent le Moyen Orient et leurs spécificités (Barhein, Yémen...), la première partie est consacrée à l'économie pétrolière et aux enjeux des rivalités des influences politico religieuses que se livrent en particulier l'Arabie Saoudite et le Qatar, en Egypte, en Syrie, en Itak, en Afghanistan...
Panorama de ce que l’on peut comprendre du Moyen Orient : extrait de la fin de l'émission, qui aborde la structure des économies locales et le lien avec la tête de l'état d'une part, et avec la religion d'autre part.« L'échelle sociale locale comme explication des révolutions et de leur répression:
La question sociale de l'ensemble de la région est liée à l'économie de rente basée sur l’exploitation du pétrole.
La principale ressource de l’Egypte provient des émigrés qui travaillent dans le Golf, le canal de Suez, un peu d’exportation de gaz mais les activités de production comme l’agriculture et l’industrie sont assez marginales.
On a depuis longtemps dans ce pays une destruction des activités de production au profit des activités de services liés à la rente directe et à la rente indirecte.
L’argent qui arrive du Golf provoque une augmentation artificielle du niveau de la vie, du niveau de consommation des gens ; la main d’œuvre même si elle n’est pas chère est tout de même plus chère que celle de l’Asie orientale. L’Egypte n’est pas compétitive dans la division internationale du travail.
C’est aussi le cas de la plupart des pays du Moyen-Orient non pétroliers, y compris pétroliers, voir même de l’ensemble du monde arabe.
Quelle est la place du monde arabe entre une Europe qui a misé sur les nouvelles technologies et une Asie qui produit de tout à bas coût avec une main d’œuvre bon marché et disciplinée ?
Le capitalisme qui marche c’est le « crony capitalism » le capitalisme des copains ; où les hommes d’affaires sont liés aux hommes politiques. Il se constitue des oligopoles, qui se partagent les marchés et laissent peu de chances aux petits et moyens entrepreneurs qui sont écrasés par la corruption ou les interdictions.
On dit qu’au Moyen-Orient les lois sont faîtes comme une toile d’araignée qui arrête les petits et laissent passer les gros.
Ce sont des systèmes clientélistes dans lesquels il faut être proche du pouvoir pour pouvoir travailler correctement.
Je renvoie à Ibn Khaldoun (14 èmè siècle) sur l’analyse du pouvoir en islam que Michel Seurat a très bien expliqué dans le cas syrien dans « L’état de barbarie » par exemple.
On peut parler de néo-khaldounisme parce que la structure du pouvoir est demeurée assez semblable à ce qu’il expliquait au 14ème siècle avec ce "capitalisme des copains" qui bloque les capacités productrices de la population puisqu’on ne laisse pas les entrepreneurs travailler librement, on investit au minimum parce qu’on est dans la précarité, il n’y a pas d’état de droit donc on peut se faire spolier, on a peur de l’état qui est un état prédateur, donc on va travailler en famille ce qui limite la taille de l’entreprise, on a peur d’être trop voyant et que quelqu’un du pouvoir vienne s’associer avec et vous obliger à partager les bénéfices.
On mise plutôt sur des activités de services parce que l’on peut davantage dissimuler les revenus que dans les activités industrielles où tout est visible et pour lesquelles on a besoin de multiples autorisations.
C’est un système économique qui se développe mais ne génère pas beaucoup d’emplois bien rémunérés et bien qualifiés.
Beaucoup d’emplois de service dans l’hôtellerie, la domesticité, si bien que les gens les plus qualifiés et les plus diplômés vont travailler dans le Golf, ou ils partent en Europe.
On a aussi un problème de main d’œuvre qualifiée pour développer des activités de haute technicité.
La recherche développement est quasiment absente dans ces pays. Il y a en a un petit peu en Egypte.
Si vous regardez le top des 500 universités du le classement de Shanghai il faut descendre au 150éme rang pour trouver une université du Moyen Orient, c’est une université saoudienne spécialisée dans le pétrole alors que dans les 20 premières vous trouvez trois ou quatre universités israéliennes.
Rappel
Il y a trois défis principaux concernant les révolutions arabes :
La remise en question de l’autoritarisme
Le radicalisation islamique
La résolution du conflit israélo arabe
- - - - - - - -
Les conséquences de ce conflit se font sentir dans l’ensemble du monde arabe
Ils génèrent du fondamentalisme, des théories du conflit, le « 2 poids 2 mesures », qui empêche l’occident de gagner la confiance des populations arabes dans la résolution de ce conflit.
Tout est interprété à l’aune de ce conflit.
C’est une clé de voûte parce que ça génère un fort sentiment anti occident, parce que l’Iran, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar se servent de la cause palestinienne pour mobiliser autour d’elles les populations arabes, et parce que les mouvements fondamentalistes agitent les populations musulmanes dans la défense de la Palestine.
Le statut des femmes est une clé de voûte aussi, car il ne pourra se produire de démocratisation au sein du monde arabe que lorsque il y a aura une démocratisation au sein de la famille et que l’on aura cassé le système patriarcal.
Au cours d’un séjour au Maroc et au contact quotidien d'une famille de Fès, j’ai été frappé par trois traits dominants de la vie locale : la misère et la pauvreté*, l’omniprésence du poids de l’orthopraxie musulmane, la précarité extrême de l’emploi associée à la faiblesse des qualifications.
J’en ajouterai un quatrième qui ne surprendra personne. C’est la fascination qu’exerce l’attrait pour la France, et le rêve de l’émigration vers ce pays où « il suffit de se baisser dans la rue pour ramasser les billets. » - sic.
Trois traits, trois images. La présence visible des bidonvilles dans l’urbanisme ; il m’était interdit d’entrer dans l’appartement de nos amis sans prévenir afin de laisser le temps aux femmes de mettre leur voile ; Saïd, marié avec deux enfants en bas âge, partant à pieds dans ses baskets éculées à l’aube chaque matin pour trouver un travail pour la journée.
Le 8 février dernier, Le Monde révélait avoir eu accès aux données bancaires analysées par 154 journalistes de plus de 100 000 évadés fiscaux clients de la banque suisse HSBC au cours des années 2005-2007 (Source lenouvelobs du 9 février). Le montant de ces fraudes était estimé à 180 milliards d’euros.
Parmi les évadés le plus célèbres figuraient deux monarques : le roi du Maroc Mohammed VI, et le roi de Jordanie Abdallah II.
Le Monde rappelait qu’"il est en principe illégal, pour des Marocains résidant au Maroc, de détenir un compte bancaire à l’étranger. Le roi Mohammed VI est pointé du doigt pour avoir ouvert un compte à la HSBC en 2006 avec cinq comptes bancaires approvisionnés en 2006/2007 à hauteur de 8 millions d'euros. Une somme à mettre certes en regard de la fortune du monarque estimée en 2014 par le magazine "Forbes" à 1,8 milliard d’euros."
Quant au roi de Jordanie qui défilait en tête de cortège à Paris le 11 janvier pour défendre Charlie Hebdo et la liberté d’expression, ce sont des frais de bouche à hauteur de 41,8 millions de dollars « destinés à des affaires toutes à fait officielles » selon ses avocats, qu’il cache sous l’oreiller de HSBC.
Bien d’autres têtes couronnées du Moyen Orient apparaissent dans cette liste aux côtés de "trafiquants d’armes ou de stupéfiants, des financiers d’organisations terroristes, des politiciens, des vedettes du showbiz, des icônes du sport ou des capitaines d’industrie", écrit "Le Monde". Mais aussi des "diamantaires belges", "des protagonistes de l’affaire Elf" ou "de nombreuses familles juives dont les avoirs avaient été mis en lieu sûr, en Suisse, au moment de la montée du nazisme en Europe".
Or ces fortunes accumulées par ces seuls monarques ne tiennent pas du simple désir de dissimuler des fonds pour assurer les beaux jours d’une descendance exposée aux risques de l'exil. Elles constituent, avec les ressources pétrolières, les deux pôles autour desquels s’organise l’économie des pays du Moyen Orient.
Voici quelques notes transcrites de l’émission de Sylvain Khan Planète terre le mercredi 28 janvier sur France Culture; dont l’invité était Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient
* …associée à une démographie galopante, dont je n’ai pris véritablement conscience de l’explication que tout récemment : le principe de l’interdit de l’avortement
Les révolutions arabes ont-elles de l’avenir au Moyen Orient ?
Ecouter l’émission : Planète Terre
L'ensemble de l'émission est passionnante. Après la définition de l'ensemble des pays qui constituent le Moyen Orient et leurs spécificités (Barhein, Yémen...), la première partie est consacrée à l'économie pétrolière et aux enjeux des rivalités des influences politico religieuses que se livrent en particulier l'Arabie Saoudite et le Qatar, en Egypte, en Syrie, en Itak, en Afghanistan...
Panorama de ce que l’on peut comprendre du Moyen Orient : extrait de la fin de l'émission, qui aborde la structure des économies locales et le lien avec la tête de l'état d'une part, et avec la religion d'autre part.« L'échelle sociale locale comme explication des révolutions et de leur répression:
La question sociale de l'ensemble de la région est liée à l'économie de rente basée sur l’exploitation du pétrole.
La principale ressource de l’Egypte provient des émigrés qui travaillent dans le Golf, le canal de Suez, un peu d’exportation de gaz mais les activités de production comme l’agriculture et l’industrie sont assez marginales.
On a depuis longtemps dans ce pays une destruction des activités de production au profit des activités de services liés à la rente directe et à la rente indirecte.
L’argent qui arrive du Golf provoque une augmentation artificielle du niveau de la vie, du niveau de consommation des gens ; la main d’œuvre même si elle n’est pas chère est tout de même plus chère que celle de l’Asie orientale. L’Egypte n’est pas compétitive dans la division internationale du travail.
C’est aussi le cas de la plupart des pays du Moyen-Orient non pétroliers, y compris pétroliers, voir même de l’ensemble du monde arabe.
Quelle est la place du monde arabe entre une Europe qui a misé sur les nouvelles technologies et une Asie qui produit de tout à bas coût avec une main d’œuvre bon marché et disciplinée ?
Le capitalisme qui marche c’est le « crony capitalism » le capitalisme des copains ; où les hommes d’affaires sont liés aux hommes politiques. Il se constitue des oligopoles, qui se partagent les marchés et laissent peu de chances aux petits et moyens entrepreneurs qui sont écrasés par la corruption ou les interdictions.
On dit qu’au Moyen-Orient les lois sont faîtes comme une toile d’araignée qui arrête les petits et laissent passer les gros.
Ce sont des systèmes clientélistes dans lesquels il faut être proche du pouvoir pour pouvoir travailler correctement.
Je renvoie à Ibn Khaldoun (14 èmè siècle) sur l’analyse du pouvoir en islam que Michel Seurat a très bien expliqué dans le cas syrien dans « L’état de barbarie » par exemple.
On peut parler de néo-khaldounisme parce que la structure du pouvoir est demeurée assez semblable à ce qu’il expliquait au 14ème siècle avec ce "capitalisme des copains" qui bloque les capacités productrices de la population puisqu’on ne laisse pas les entrepreneurs travailler librement, on investit au minimum parce qu’on est dans la précarité, il n’y a pas d’état de droit donc on peut se faire spolier, on a peur de l’état qui est un état prédateur, donc on va travailler en famille ce qui limite la taille de l’entreprise, on a peur d’être trop voyant et que quelqu’un du pouvoir vienne s’associer avec et vous obliger à partager les bénéfices.
On mise plutôt sur des activités de services parce que l’on peut davantage dissimuler les revenus que dans les activités industrielles où tout est visible et pour lesquelles on a besoin de multiples autorisations.
C’est un système économique qui se développe mais ne génère pas beaucoup d’emplois bien rémunérés et bien qualifiés.
Beaucoup d’emplois de service dans l’hôtellerie, la domesticité, si bien que les gens les plus qualifiés et les plus diplômés vont travailler dans le Golf, ou ils partent en Europe.
On a aussi un problème de main d’œuvre qualifiée pour développer des activités de haute technicité.
La recherche développement est quasiment absente dans ces pays. Il y a en a un petit peu en Egypte.
Si vous regardez le top des 500 universités du le classement de Shanghai il faut descendre au 150éme rang pour trouver une université du Moyen Orient, c’est une université saoudienne spécialisée dans le pétrole alors que dans les 20 premières vous trouvez trois ou quatre universités israéliennes.
Rappel
Il y a trois défis principaux concernant les révolutions arabes :
La remise en question de l’autoritarisme
Le radicalisation islamique
La résolution du conflit israélo arabe
- - - - - - - -
Les conséquences de ce conflit se font sentir dans l’ensemble du monde arabe
Ils génèrent du fondamentalisme, des théories du conflit, le « 2 poids 2 mesures », qui empêche l’occident de gagner la confiance des populations arabes dans la résolution de ce conflit.
Tout est interprété à l’aune de ce conflit.
C’est une clé de voûte parce que ça génère un fort sentiment anti occident, parce que l’Iran, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar se servent de la cause palestinienne pour mobiliser autour d’elles les populations arabes, et parce que les mouvements fondamentalistes agitent les populations musulmanes dans la défense de la Palestine.
Le statut des femmes est une clé de voûte aussi, car il ne pourra se produire de démocratisation au sein du monde arabe que lorsque il y a aura une démocratisation au sein de la famille et que l’on aura cassé le système patriarcal.