Bernard Malamud (1914-1986), écrivain américain de parents juifs immigrants, est renommé pour ses nouvelles chroniquant la vie de ces immigrés juifs d'Europe de l'Est aux Etats-Unis, dans les quartiers pauvres de Manhattan et Brooklyn. Avec Saul Bellow, Malamud est considéré comme l'un des deux maîtres du roman juif-américain, qui ont considérablement influencé les écrivains de la génération suivante tel que Philip Roth. Paru en 1966, son roman L'Homme de Kiev est récompensé par le National Book Award et le Prix Pulitzer. Il est adapté deux ans plus tard au cinéma sous le même titre, par John Frankenheimer avec Alan Bates et Dirk Bogarde.
Empire russe du début du XXème siècle. Abandonné par sa femme, Yakov Bok quitte son petit village pour Kiev où il espère une vie meilleure faite de travail - il sait tout faire et tout réparer - et de temps pour se cultiver un peu et approfondir sa connaissance de l'œuvre de Spinoza. Lorsqu'un enfant est découvert assassiné, Yakov Bok devient le coupable idéal car dans le climat d'hystérie antisémite régnant dans la Russie de Nicolas II, Yakov Bok est juif et " aucun Juif n'est innocent. "
Le roman de Bernard Malamud est inspiré d'une histoire véridique et qui fit grand bruit, celle de Menahem Mendel Beilis accusé à tort d'avoir assassiné un jeune garçon ukrainien en 1913, un prétendu crime rituel.
Si le début du bouquin peut évoquer le film M le maudit de Fritz Lang (1931) puis le roman de Kafka, Le Procès (1925), ces exemples ne sont cités que pour vous donner une idée de l'intrigue car c'est bien Bernard Malamud qui tient les commandes. Très vite Yakov Bok est arrêté par la police et tout le livre est centré sur cette situation épouvantable, un homme innocent est accusé d'un crime atroce par tous, les autorités s'escrimant à tenter de monter en vain un dossier d'accusation solide pour lui signifier son inculpation officielle et ouvrir son procès. Durant les près de trois ans couverts par ce roman, on assiste médusé et scandalisé aux combines, mesquineries, humiliations, vexations, souffrances, infligées à Yakov Bok par ses geôliers pour l'obliger à avouer ce qu'il n'a pas fait.
Et cet homme simple va tout endurer, lui qui est juif mais non pratiquant, il se réclame libre-penseur s'inspirant de Spinoza, les interrogatoires biaisés, les fausses preuves, les dénonciations fallacieuses, les trahisons. Seul contre tous, il résiste, refusant même des compromis qui pourraient - peut-être - le tirer de son malheur. Par principe. Roman sur la liberté individuelle, quand dans les dernières pages s'ouvre enfin le procès, Bernard Malamud opte pour ce que l'on serait tenté de nommer, une lueur d'espoir. Pour rappel, dans l'affaire Beilis, le prévenu avait été acquitté...
Un très bon roman servi par une belle écriture limpide, atténuant à peine les angoissants thèmes abordés, l'antisémitisme dément des uns et la solitude désarmée devant l'adversité, de l'autre. Un livre d'hier pour tous les lecteurs d'aujourd'hui.
" Nous avons déjà réuni plus de trente témoignages dignes de foi. Sa Majesté a lu les dépositions les plus importantes. Lors de sa dernière visite à Kiev, peu après votre arrestation, j'au eu l'honneur de lui déclarer : " Sire, je suis heureux d'annoncer à Votre Majesté que le meurtrier de Zhenia Golov est sous les verrous. Il s'agit de Yakov Bok, membre d'un groupe de Juifs fanatiques, nommés hassidim. " Je puis vous certifier qu'en dépit de la pluie, Sa Majesté s'est découverte et signée pour remercier le Seigneur de votre arrestation. " Le réparateur imagina le tsar se signant, tête nue sous la pluie. Pour la première fois il se demanda s'il ne s'agissait pas d'une erreur sur la personne. L'aurait-on confondu avec un autre ? "
Bernard Malamud L'Homme de Kiev Rivages poche - 428 pages -Traduit de l'anglais par Solange et Georges de Lalène