Est-ce pour souligner la légèreté du travail accompli par
Piketty que l’auteur de cet essai a choisi ce titre ?
Revue de livre par Bernard
Zimmern
Est-ce par dérision que l’auteur de cet essai, par ailleurs
solide, a choisi ce titre, digne d’une punition d’école primaire ? Est-ce pour
souligner la légèreté du travail accompli par Piketty malgré les tonnes de
chiffres sous lesquels il prétend nous enterrer ? Le sous-titre –
« enquête sur une imposture » – nous donne clairement l’objet du
livre.
Ce n’est pas parce qu’il nous cite que nous avons été
conquis par cet opuscule qui se lit très facilement. La plume y est alerte et
le style incisif. L’auteur a su ne pas se laisser aller à de grandes
démonstrations pour experts mais toucher là où cela fait mal. Qu’on en juge.
Nous n’avons pas vérifié mais je cite :
« Manichéen à l’extrême et prêt à faire feu de tout
bois pour signifier que le riche est nuisible par nature, l’auteur
du Capital au XXIème siècle va aussi jusqu’à confondre réalité et
fiction. C’est ainsi qu’un certain Caledon Hockley a droit à son petit couplet.
Qui est donc cet individu ? L’héritier d’une immense fortune qui s’est
illustré lors du naufrage du Titanic en graissant la patte d’un officier afin
d’embarquer en priorité sur un canot de sauvetage. (…) Seul problème, le sinistre
Caledon Hockley n’a jamais existé. Sorti tout droit de l’imagination du
cinéaste James Cameron… »
Autre « imposture » dévoilée en page 818 :
« Piketty parle de la violence des années 1930 en
accusant les élites économiques et financières qui se sont enrichies en
conduisant le pays à la ruine. (…) C’est dans ce contexte qu’arrive Roosevelt
qui relève fortement le plafond du taux marginal de l’impôt sur le revenu
abaissé à 25% sous la désastreuse présidence Hoover, et qui passe à 63% dès
1933… Le seul problème est que ce relèvement date de 1932 et pas 1933 et n’est
donc pas l’œuvre de Roosevelt, mais de… Hoover, lui-même. »
La liste des erreurs de Piketty est longue et nous pourrions
en donner un très long compendium qui pourrait être aussi volumineux que son
ouvrage à succès. L’auteur lui donne cependant des excuses en rappelant que ses
parents étaient à Lutte Ouvrière et qu’il est en fait, selon lui, un militant
de gauche, drapant son idéologie sous l’habillage de la statistique.
Mais l’ancien rédacteur en chef adjoint
de L’Entreprise est allé sur des terrains plus cruciaux que la seule
crédibilité de Piketty et a déniché des sources sérieuses sur l’un des aspects
importants des revenus aux États-Unis : ce qu’on appelle la mobilité, le fait
que ceux qui sont au sommet de la pyramide y restent rarement longtemps. Alors
que Piketty affirme qu’il n’existe pas de rapport conclusif sur cette mobilité,
les professeurs Mark R. Rank et Thomas A. Herschel ont suivi un groupe
d’Américains entre 25 et 60 ans afin d’observer l’évolution de leurs revenus
sur une période de 44 ans. Leur découverte ? « Les trois quarts
d‘entre eux se sont retrouvés à un moment de leur vie professionnelle parmi les
20% des revenus les plus élevés (et plus de la moitié dans le décile supérieur)
(…) 54% ont flirté au moins une fois avec le seuil de pauvreté… En trouvant peu
à peu une place dans la société, la plupart de ses occupants ont fini par
sortir de la misère… »
Frédéric Georges-Tudo, l’auteur de l’essai, s’étonne à de
multiples reprises que les médias aient pu reprendre et présenter comme des
vérités des informations qui sont au mieux des erreurs, au pire des
malhonnêtetés intellectuelles. Il explique clairement que cet essai est tombé à
pic aux États-Unis pour permettre à un président Obama, en déroute électorale,
de lancer le thème qui, depuis Abel et Caïn, avec l’intérim de Karl Marx, est
un des grands moteurs de la politique.
Mais l’avertissement que lance l’auteur à la fin de son
essai n’en est pas la partie la moins intéressante. L’essai se conclut par
cette forte déclaration :
« Maintenant qu’il a l’oreille des médias du monde
entier, Thomas Piketty ne manquera pas d’intensifier son activisme militant (…)
sa doctrine distille l’idée que le monde est sclérosé, que les classes populaires
sont par définition condamnées à rester clouées au sol (…) Voilà pourquoi il
nous semblait très imprudent de négliger le pouvoir de nuisance de ce
personnage à l‘apparence si bienveillante. Révéler ses escroqueries
intellectuelles, expliquer ses erreurs d’analyse, mettre en garde contre ses
recommandations désastreuses et enfin dénoncer son militantisme d’extrême
gauche maquillé en recherche scientifique, c’est ce qu’a tenté d’accomplir
« Piketty au piquet. »
Frédéric Georges-Tudo, Piketty
au piquet, Éditions du Moment, février 2015, 219 pages.