d'après FOU ? de Maupassant
Suis-je fou ?
Ou seulement jaloux ?
Le soupçon persistant,
L’amour trahi,
La douleur abominable,
Suffisent pour commettre l’irréparable.
J’ai souffert horriblement
Et accompli un acte de folie.
Oh ! J’ai souffert de façon continue,
Épouvantable, aigüe.
J’ai aimé une femme.
Non, elle m’a possédé corps et âme,
J’ai été sa chose, son jouet.
Au début, je frémissais
Dès qu’elle commençait à se dévêtir.
Entre ses bras, je m’épuisais,
Je me sentais défaillir,
Autant secoué par le besoin de la tuer
Que par le désir de la posséder.
Mais un jour, elle s’est lassée.
Quand je l’appelais,
Elle se retournait et disait :
‘’ N’aurais-je jamais la paix ? ’’
Alors, je devins jaloux.
Suis-je fou ?
Non. Elle me trompait.
Autrefois, nous passions
Des nuits d’amour ardent.
Maintenant,
Je suffoque d’indignation.
J’ai envie de l’abattre sous mon genou.
Suis-je fou ?
Non. Je sens qu’une passion nouvelle
Vit en elle.
Autrefois, elle palpitait.
Son œil flambait.
De tout son être vibrant se dégageait
Cet amour d’où mon affolement provenait.
Et tout à coup,
Je devinais ! Je ne suis pas fou.
Comment vous dire ceci ?
Je fus averti ainsi :
Hier soir, à la clarté vespérale,
Elle rentrait d’une promenade à cheval.
Il m’a semblé pénétrer dans des secrets
Que je n’avais pas soupçonnés.
Qui jamais ne sondera
Les perversions si fines
De la sensualité féminine ?
Qui, des femmes, comprendra
Les caprices invraisemblables
Et l’assouvissement impalpable
De leurs étranges frénésies ?
Chaque matin, elle galopait
Par les plaines et les bois
Et chaque fois,
Elle rentrait alanguie
Comme après des fièvres d’amour ardent.
J’avais compris !
J’étais jaloux du cheval nerveux et galopant,
Jaloux du vent
Qui la caressait,
Jaloux des feuilles qui, en passant,
Baisaient ses oreilles,
Jaloux du soleil
Qui, à travers les branches,
Inondait ses hanches
,
Jaloux de la selle qui la portait
Et que sa cuisse étreignait.
C’était cela qui l’exaltait,
L’assouvissait,
L’épuisait,
Et ensuite me la rendait
Insensible et presque pâmée.
Je résolus de me venger.
Je fus pour elle doux et attentionné.
Après ses courses effrénées,
Quand elle mettait pied à terre,
Je lui tendais une main hospitalière
Mais il ruait vers moi, son furieux cheval !
Et elle, flattait l’encolure de l’animal,
Embrassait ses naseaux !
Comme si elle sortait de la tiédeur
Des draps conjugaux,
Le parfum de son corps
Se mêlait à l’odeur âcre
De son coursier roussâtre.
Le lendemain sonna l’heure de ma vengeance :
Je saisis une corde et mon pistolet,
Puis courus en transe
Vers le sentier qu’elle empruntait.
J’ai tendu la corde entre deux troncs
Et me cachai derrière un buisson.
Bientôt j’entendis un galop lointain.
Elle arrivait à fond de train.
Oh ! Je ne m’étais pas trompé,
Elle semblait d’allégresse transportée.
La course faisait vibrer ses nerfs
D’une jouissance furieuse et solitaire.
Le cheval heurta mon piège, trébucha,
Et, les os brisés, s’écroula.
Comme s’il eut été un homme, je tirai
Et le tuai
D’un seul coup.
Dites-moi, suis-je fou ?