Une série de poèmes, dans une traduction (du yiddish) inédite de Jean-René Lassalle
Sous tes étoiles blanches
sous tes étoiles blanches
tends-moi ta blanche main.
mes mots qui sont des larmes
dans ta main désirent repos.
vois leur éclat s’assombrir
sous mon regard encavé,
aucun abri je ne trouve
pour en retour te les offrir.
mais je voudrais, dieu familier,
te léguer mes possessions,
car en moi brûle un feu
et en le feu mes journées.
toujours entre caves et trous
pleure ce calme meurtrier.
grimpant plus haut – dessus les toits
je te recherche : où es-tu, où ?
me pourchassent avec démence
arrière-cours, escaliers criards.
pendu en corde de violon rompue
pour toi pourtant je chante encore :
sous tes étoiles blanches
tends-moi ta blanche main.
mes mots qui sont des larmes
dans ta main désirent repos.
Écrit das le ghetto de Vilnius en 1943.
Extrait de : Avrom Sutzkever, Lider fun geto, New York 1946. Traduit du yiddish par Jean-René Lassalle avec le texte original et des traductions allemandes et anglaises.
Unter dayne vayse shtern
unter dayne vayse shtern
shtrek tsu mir dayn vayse hant.
mayne verter zaynen trern,
viln ruen in dayn hant.
ze, es tunklt zeyer finkl
in mayn kelerdikn blik,
un ikh hob gornit keyn vinkl
zey tsu shenken dir tsurik.
un ikh vil dokh, got, getrayer,
dir fartroyen mayn farmeg,
vayl es mont in mir a fayer
un in fayer mayne teg.
nor in keler un in lekher
veynt di merderishe ru.
loyf ikh hekher – iber dekher
un ikh zukh: vu bistu, vu?
nemen yogn mikh meshune
trep un hoyfn mit gevoy.
heng ikh a geplatste strune
un ikh zing tsu dir azoy:
unter dayne vayse shtern
shtrek tsu mir dayn vayse hant.
mayne verter zaynen trern
viln ruen in dayn hant.
אונטער דײַנע ווײַסע שטערן
אונטער דײַנע ווײַסע שטערן
שטרעק צו מיר בײַן װײַסע האַנט.
מײַנע װערטער זײַנען טרערן
װילן רוען אין דײַן האַנט.
זע, אעס טונקלט וײער פֿינקל
אין מײַן קעלערדיקן בליק
און איך האָב גאָרניט קײן װינקל
זײ צו שענקען דיר צוריק.
און איך װיל דאָך, גאָט, געטרײַער,
דיר פֿאַרטרױען מײַן פֿאַרמעג.
װײַל אעס מאָנט אין מיר אַ פֿײַר
און אין פֿײַער מײַנע טעג.
נאָר אין קעלער און אין לעחער
װײנט די מערדערישע רו.
לױפֿ איך העחער - איבער דעחער
און איך זוך: װוּ ביסטו, װוּ?
נעמען יאָגן מי משונה
טרעפ און הױפֿן - מיט געװױ.
הענג איך אַ געפלאַצטע סטרונע
אין איך זינג צו דיר אַזױ:
אונטער דײַנע ווײַסע שטערן
שטרעק צו מיר בײַן װײַסע האַנט.
מײַנע װערטער זײַנען טרערן
װילן רוען אין דײַן האַנט.
Avrom Sutzkever, extrait de Lider fun geto, 1946, reproduit dans le site Bibliotheca Augustana / Iidica / Sutzkever, Hochschule Augsburg, avec la transcription en alphabet latin et l’original yiddish écrit avec l‘alphabet hébreu.
Wagon de chaussures
les roues coursent, coursent,
et que transportent-elles ?
un wagon elles m’apportent
de chaussures tressaillantes.
wagon à dais nuptial
dans la splendeur du soir ;
chaussures – un plein compartiment
comme des humains qui dansent.
est-ce un mariage, une fête
aveuglant mon esprit ?
chaussures – si familières
j’ai reconnu chacune.
claquètent les semelles :
vers où, vers où, vers où ?
des vieilles rues de Vilnius
on nous mène à Berlin.
„à qui sont-elles ?“ si je demande,
risque que mon cœur se fende ;
dites-moi, chaussures, la vérité :
où sont vos pieds ?
les pieds de ces pantoufles
aux boutonnets de rosée ;
où est le frêle corps ?
où est donc cette femme ?
dans ces chaussures d’enfants, toutes,
pourquoi ne vois-je d’enfant ?
pourquoi la mariée ne chausse
bientôt les souliers de la noce ?
parmi bottines et godillots
je trouve les escarpins de ma mère.
ceux qu’elle réservait au sabbat
pour certes y mettre ses plus beaux habits.
et claquètent les semelles :
vers où, vers où, vers où ?
des vieilles rues de Vilnius
on nous mène à Berlin.
Écrit das le ghetto de Vilnius en 1943.
Extrait de : Avrom Sutzkever, Lider fun geto, New York 1946. Traduit du yiddish par Jean-René Lassalle avec le texte original et des traductions allemandes et anglaises.
A vogn shikh
Di reder yogn, yogn,
Vos brengen zey mit zikh?
Zey brengen mir a vogn
Mit tsaplendike shikh.
Der vogn vi a khupe
In ovntikn glants;
Di shikh- a fule kupe
Vi mentshn in a tants.
A khasene, a yontev?
Tsi hot mikh ver farblendt?
Di shikh- azoyne nonte
Oyf s’nay ikh hob derkent.
Es klapn di optsasn:
Vuhin, vuhin, vuhin?
Fun alte vilner gasn
Me traybt undz keyn Berlin.
Ikh darf nit fragn “vemes”,
Nor s’tut in hartz a ris:
oh, zagt mir, shikh, den emes,
Vu zenen zey di fis?
Dis fis fun yene tufle
Mit knephele vi toy
Und do –vu iz dos gufl?
Und dort vu iz di froy?
In kindershikh in alle
Vos zeh ikh nit kayn kind?
Vos tut nit on di kale
Di shikhelekh atsind?
Durkh kindershikh un shkrabes
Kh’derken mayn mames shikh!
Zi flegt zey bloyz oyf shabes
Aroyftsien oyf zikh.
Un s’klapn di optsasn:
Vuhin, vuhin, vuhin?
Fun alte vilner gasn
Me traybt undz keyn Berlin.
Avrom Sutzkever, extrait de Lider fun geto, 1946, reproduit dans le site Bibliotheca Augustana / Iidica / Sutzkever, Hochschule Augsburg.
qui restera ?
qui restera ? qu’est-ce qui restera ? il restera un vent,
restera l’aveuglement d’un aveugle, disparaissant.
restera un signe de la mer : un bracelet d’écume,
restera un petit nuage, enchevêtré dessus un arbre.
qui restera ? qu’est-ce qui restera ? restera une syllabe,
herbe de la genèse en recréation croissant.
restera la rose-violon, pour elle-même fleurissant,
sept herbes d’entre les herbes chercheront compréhension.
plus que toutes les étoiles depuis le nord jusqu’ici-bas,
restera cette étoile qui tombe dans une seule larme.
sans cesse une goutte de vin restera dans la cruche.
qui restera, dieu restera, cela ne te suffit pas ?
Extrait de : Avrom Sutzkever, Di fidlroyz, Tel-Aviv 1974. Traduit du yiddish par Jean-René Lassalle avec le texte original et des traductions allemandes et anglaises.
ver vet blaybn?
ver vet blaybn? vos vet blaybn? blaybn vet a vint,
blaybn vet di blindkeyt funem blindn, vos farshvindt.
blaybn vet a simen funem yam: a shnirl shoym,
blaybn vet a volkndl fartshepet oyf a boym.
ver vet blaybn? vos vet blaybn? blaybn vet a traf,
breyshesdik aroystsugrozn vider zayn bashaf.
blaybn vet a fidlroyz lekoved zikh aleyn,
zibn grozn fun di grozn veln zi farshteyn.
mer fun ale shtern azh fun tsofn biz aher,
blaybn vet der shtern, vos er falt in same trer.
shtendik vet a tropn vayn oykh blaybn in zayn krug.
ver vet blaybn, got ver blaybn, iz dir nit genug?
Extrait de : Avrom Sutzkever, Di fidlroyz, Tel-Aviv 1974, reproduit dans le site Bibliotheca Augustana / Iidica / Sutzkever, Hochschule Augsburg.
« Sous tes étoiles blanches » chanté en yiddish par Chava Alberstein, avec des peintures de Chagall qui collabora régulièrement à la revue de Sutzkever
« Un wagon de chaussures » dit par le poète lui-même en yiddish
Avrom Sutzkever dans Poezibao :
bio-bibliographie
extrait 1
Dossier sur Avrom Sutzkever dans le site Esprits Nomades
[Jean-René Lassalle]