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Comment Poutine déchire la gauche française

Publié le 11 mars 2015 par Juan
Très franchement, la situation est proche du surréalisme politique le plus total.
La France est en crise, politiquement abimée par des désaccords nombreux et la progression d'une vague brune et neo-poujadiste, une dégradation sociale et des difficultés économiques effarantes. La France est en crise comme d'autres pays, moins que d'autres pays. Une crise qui a ses mesures - le taux de pauvreté, le nombre de repas toujours croissants servis par les Restos du Coeur, l'encombrement des urgences par une population qui n'a même plus les moyens de supporter les franchises médicales, une menace djihadiste et des déchirements sociaux et communautaires une crise de foi républicaine et un sabordage européen.
La France est en crise, donc, et pourtant la gauche se déchire ... sur le cas de Vladimir Poutine
Allo ?
Qui l'eut cru ?
L'assassinat d'un opposant politique la semaine dernière à quelques pas du Kremlin a suscité une réaction énervée, imprudente, sanguine, courte, partiale, et mal venue de Jean-Luc Mélenchon. Le leader du Parti de Gauche a fustigé le "béatisme" des médias occidentaux, le procès sans appel dressé à l'encontre de Poutine, comme, hier, il défendait la Russie contre les Etats-Unis et l'Europe en Ukraine. On a compris que Poutine n'était pas, pour Mélenchon, l'épouvantail qu'il est pour d'autres.
"L’apologie de Nemtsov, illustrissime inconnu avant son meurtre, fonctionne comme un piège à naïf pour créer une ambiance de « Sadamisation » contre Poutine."

Pourquoi cet acharnement mélenchoniste à défendre Poutine contre les critiques qui l'accablent ? Il y a trois possibilités: (1) Mélenchon pense que Poutine est un moindre mal pour la Russie et la région; (2) il est convaincu qu'il faut respecter les gouvernements élus même dans des conditions douteuses; (3) il considère qu'un embrasement de la région serait une catastrophe ("Il est important de se souvenir que la Russie est une très grande puissance militaire" explique-t-il). La première hypothèse est une catastrophe politique. La seconde devrait imposer à Mélenchon un immense silence envers tous les dictateurs de ce globe. La troisième est simplement de la real-politik partagée par d'autres qu'il suffit simplement d'assumer.
Dans deux médias au moins, habituellement très sympathiques du combat politique à gauche de l'ancien candidat à la présidentielle, on a pu lire des critiques fermes et déçues de ces prises de position véhémentes de Mélenchon contre l'opposant Boris Nemtsov.
Chez Politis, Claude-Marie Vadrot est choqué: "les journalistes vilipendés comme d’habitude par le porte-parole du Parti de Gauche ont sur lui la supériorité de bien connaitre la Russie et d’avoir rencontré Nemtsov à de nombreuses reprises, d’avoir depuis des années parlé avec lui, de savoir qu’il n’était pas la marionnette et le méchant qu’il décrit".
Chez Mediapart, Fabrice Arfi et Antoine Perraud ont mal supporté la diatribe anti-Nemtsov de Mélenchon: "Jean-Luc Mélenchon dédaigne l'assassinat de Boris Nemtsov et apporte son soutien à Vladimir Poutine. Sa fascination pour la force, l'efficacité, l'occupation musclée du pouvoir, l'éloigne de la conscience démocratique, réduite au rang d'une nocivité yankee. Halte-là !"
La charge fait mal, très mal.
La gauche se déchire sur Poutine. Vous ne rêvez pas.
Dans les colonnes de Marianne ce 9 mars 2015, Jack Dion vient à la rescousse dans un billet sobrement mais clairement intitulé "Jean-Luc Mélenchon, l’homme à abattre". Il détaille son argument: " la prise de position du coleader du Front de gauche sur l’assassinat de l’opposant russe Boris Nemtsov (...) lui a valu un procès en sorcellerie de la pire espèce, menée par ses ennemis déclarés, ses vrais faux amis politiques et une cohorte de Fouquier-Tinville de sous-préfecture."

Jack Dion défend une thèse respectable, et presque convaincante: Mélenchon en fait trop puisque les autres en font trop: "Pour qui sait lire, l’essentiel de son (long) propos vise à refuser une russophobie ambiante décuplée par l’affaire ukrainienne, dans laquelle il voit un risque de dérive guerrière périlleuse. Certains ont réduit ce propos circonstancié à une diatribe anti Nemtsov fantasmagorique doublée d’un hymne à Poutine imaginaire."
Dans les colonnes de Rue89, Daniel Schneiderman (d'Arrêt sur Images) vient aussi en renfort: "Résistons aux deux furieuses propagandes, qui veulent faire de Poutine le Diable incarné, ou le dernier Sage de l’histoire. Tentons, en d’autres mots, d’imiter l’exploit des scénaristes de « House of Cards » qui, dans sa saison 3, réussissent au fil des épisodes à rendre la complexité du personnage. Plus facile apparemment dans une série télé que dans un suivi au jour le jour." Poutine est un personnage complexe, n'est-ce pas ?

Osons une question au passage: pourquoi donc les mêmes qui défendent une vision assez claire, brutale, franche et parfois binaire de la réalité politique en France réclament-ils aujourd'hui à propos de Vladimir Poutine une analyse reculée, complexe et toute en finesse ? Rien ni personne ne peut prouve aujourd'hui que l'opposant Nemtsov a été assassiné sur ordre de Poutine. Mais l'affaire du jour dépasse largement ce sujet. Il ne fait pas bon être opposant à Poutine, c'est un fait. 

La gauche se déchire sur Poutine. Vous ne rêvez pas. 
La question qui demeure est en fait double: primo, pourquoi donc Mélenchon s'obstine-t-il dans ces postures qui consistent à répliquer par des outrances à ce qu'il considère en être ? Secundo, pourquoi la gauche se déchire-t-elle sur l'attitude à avoir vis-à-vis de Vladimir Poutine ?
Poser cette dernière question est suffisamment terrifiant.

Clémentine Autain, par ailleurs femme politique alliée à Mélenchon, tente de remettre les pendules à l'heure: "ne soyons pas naïfs sur Poutine." Et elle rappelle: "Le président russe et son entourage préfèrent la violence à la démocratie. Ils ont noué des liens étroits avec les réseaux d’extrême droite en Europe."
Voilà.
La gauche se déchire sur Poutine. Vous ne rêvez pas.


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