« L’oubli, dis-je, fait sans doute partie de notre vie autant que le souvenir. Nous sommes tous amnésiques. »
C'est sur les conseils avisés de Lou de Libellus que j'ai emprunté un roman de Siri Hustvedt à la bibliothèque municipale. Tout ce que j'aimais narre près de deux décennies de la vie de deux couples de la classe moyenne, plutôt intellectuelle, à New york.
Le récit est conté par l'un des protagonistes, professeur d'art, qui file le parfait amour avec Erica, sa jeune épouse rencontrée à l'université. A l'étage au-dessus, un jeune couple coule également des jours heureux.
« Chaque fois qu’un artiste meurt, son œuvre commence lentement à remplacer son corps, devenant son substitut matériel dans le monde. (…) L’art, dans son inutilité, résiste à l’incorporation dans le quotidien et , s’il a le moindre pouvoir, il paraît respirer la vie de la personne qui l’a créé. »
Tous les personnages s'épanouissent dans leurs domaines respectifs, Bill, peintre underground commence à être reconnu, et les autres publient des bouquins. Matt et Mark, leurs bambins sont charmants et inséparables. Tout va pour le mieux dans leur univers d'art, d'amour et d'amitié jusqu'au jour où Matt, l'enfant d'Erica et du narrateur, se noie au cours d'une sortie dans son camp de vacances.
Le récit devient dramatique en se focalisant sur les parents endeuillés, submergés par le chagrin, dont les liens se délitent jusqu'à la séparation géographique, et les gestes du quotidien qui se révèlent désuets et inutiles. Mais aussi sur le dévouement et l'amitié qui permettent d'éviter le naufrage et d'affronter l'insupportable, cette vie qui ne sera jamais plus comme avant.
« Nous ne savions comment renoncer à lui, comment exister. Nous ne retrouvions pas les rythmes de la vie normale. La simple affaire de s’éveiller, d’aller ramasser le journal à la porte et de s’asseoir pour prendre le petit-déjeuner devenait une pantomime cruelle du quotidien en l’absence béante de notre fils. »
Ils devront vivre avec des souvenirs, et des instants fugitifs de rêves éveillés avec Matt vivant. Toutefois, cette plaie devient moins vive pour le narrateur à mesure qu'il s'attache à Mark, le fils de Bill et le meilleur ami de son fils, un garçon charmant et charmeur, rêveur et mauvais élève.
Peu-à-peu, la tension monte à mesure qu'il découvre le rapport particulier de Mark avec la vérité. Lui et ses amis sont stupéfaits et impuissants devant les forfaits, les vols, les mensonges répétés et l'amitié ambiguë pour un artiste en vogue de l'art contemporain.
La douleur omniprésente de l'absence de l'enfant défunt est reléguée à l'arrière plan par une autre douleur faite de trahison et de colère, puis par la mort de Bill. En fait, Tout ce que j'aimais est une parabole sur la vie qui file et qui ne ressemble déjà plus à celle que l'on a vécue...
« Une histoire que nous racontons sur nous-mêmes ne peut être racontée qu’au passé. Elle se déroule à l’envers à partir du lieu où nous nous trouvons, non plus acteurs mais spectateurs qui ont choisi de parler. (…) L’histoire survole les blancs, les comble en rattachant les propositions à l’aide de « et » ou de « et alors ». C’est ce que j’ai fait au long de ces pages afin de rester sur un chemin que je sais interrompu par de légers creux et plusieurs trous profonds. l’écriture est un moyen de remonter la piste de ma faim, et la faim n’est pas autre chose qu’un vide. »
Un grand roman