Le 8 mars, journée des droits des femmes, mais pourquoi se limiter au 8 mars?
Poursuivons avec nos lectures "féminines.
Un autre essai, historique.
A suivre...
Révélée par ses deux volumes consacrés aux femmes de dictateurs (400.000 exemplaires en français, 800.000 dans le monde), Diane Ducret vient de publier une passionnante et éclairante histoire du sexe féminin, fruit d'une longue enquête, "La chair interdite" (Albin Michel, 366 pages).
"Chair interdite depuis la naissance de la civilisation", écrit-elle, "le sexe des femmes nourrit les peurs des hommes, leur fournit plaisir et naissance, attise le désir autant que la haine. Tantôt exilé, maudit, conspué ou consacré, mutilé autant qu'embrassé, il aura toujours quelque chose à se reprocher. Il a dicté ses lois et ses désirs à l'histoire de l'humanité. Quand bien même certains hommes, certaines politiques ou religions tenaient de lui prescrire leurs volontés, leurs fantasmes, leurs interdits."
Diane Ducret. (c) Roberto Frankenberg.
Ce qui paraît le plus incroyable, c'est que ce livre formidable et bienvenu est le premier à traiter du sujet! "Je n'imaginais pas écrire là-dessus", me dit Diane Ducret, "je ne suis pas une féministe acharnée, je suis plutôt pudique. Mais le sujet est venu me chercher par l'actualité. La femme n'a jamais eu autant de liberté qu'en Occident aujourd'hui mais on voit poindre le retour de moralistes. Il suffit de voir ce qui se passe en Espagne, ou en France avec la PMA. Que penser quand on vous dit qu'un viol vous donne un enfant si vous y avez pris du plaisir? D'un coup, ce sujet m'est apparu comme une nécessité. Faire l'histoire du sexe féminin, de son plaisir, c'est aussi faire l'histoire de la femme. L'égalité est la deuxième question du livre car pour apprécier la liberté dont jouissent ici les femmes, il faut savoir d'où elle vient et ce qui la menace."Mais être la première à traiter un sujet rend la tâche immense! "C'était encore plus compliqué que pour "Femmes de dictateurs" où existait le travail d'historiens", reconnaît l'essayiste. "Quand on invente un sujet, on brasse l'ensemble des histoires depuis l'Antiquité! Je n'ai pas eu de vie pendant un an et demi... J'ai vraiment fait beaucoup de recherches pour ce livre. Il suffit de voir les cinquante pages de notes qui figurent à la fin..."
Diane Ducret a identifié et retrouvé de nombreux textes, ceux du XIIe siècle qui se trouvent à la BNF, ceux de l'Antiquité dont on parle beaucoup. Un travail de fourmi mais donnant un résultat extrêmement utile. "Le plaisir féminin est la question la plus politique de l'Histoire", observe-t-elle. "Il remet en question la place de l'homme qui croit qu'il est sa propriété, alors que l'homme peut être remplacé. On a tondu des femmes pour cela à la Libération. Le viol est une stratégie de guerre, une punition ethnique. Il suffit de se rappeler de la guerre des Balkans."
Logiquement, le livre, historique, suit le cours du temps, depuis 350 avant Jésus-Christ jusqu'à nos jours. "J'ai voulu écrire les vagues de l’histoire, en fonction des crises politiques, économiques, religieuses. Dès que les fondements vacillent, l'homme a besoin de (re)maîtriser le sexe de la femme, de (re)dire "Ceci est à moi", de verrouiller le plaisir féminin, de museler son désir, à travers des techniques chirurgicales ou médicales. La femme est le repos du seigneur."
Particularité, chaque chapitre chronologique est l'objet d'une découverte avec une thématique. Si pas de découverte, pas de chapitre! "Les thèmes se sont précisés au fur et à mesure des découvertes que je faisais. Combien de découvertes n'ai-je pas faites en travaillant sur ce livre, que de surprises! Par exemple, les tontes intimes à la Libération, Anne Frank qui était en pleine découverte de son anatomie, Marilyn qui fut la femme du sexe sans sexe, les excisions qui étaient pratiquées en Europe au XIXe siècle J'ai aussi voulu prendre des évidences, changer leur prisme et les revoir avec mon fil rouge. Si les sujets sont graves, je les ai traités avec sérieux, mais aussi avec une distance amusée. C'est mon côté belge..." La preuve aussi par les titres et les intertitres qui jouent avec humour sur les mots.
"La chair interdite" comporte aussi de nombreuses citations, "une manière de donner du corps et de faire parler la voix des hommes sur ces thèmes." Voilà un ouvrage extrêmement précieux.