"Face à Face" des PADA avec Fiston Mwanza Mujila

Publié le 09 mars 2015 par Joss Doszen

A l'occasion de cette rencontre paraînée par le CEC Bruxelles, trois axes de discussion ont été explorés avec Fiston Mujila-Mwanza, en partant de son superbe roman Tram 83 et en ouvrant la discussion de façon plus large sur le thème choisi " Les littératures des Afriques : De la marginalité à la lumière ".
Plutôt que de transcrire la discussion, autant vous mettre les questions et vous renvoyer au film vidéo qui a été faite pour l'occasion. Cet échange ne peut se savourer sans la verve - mise en voix - de Fiston Mujila :


Fiston Mwanza Mujila, merci de nous faire l'honneur de ce "Face à Face" sur le thème de la Marginalité et des littératures des Afriques. Évidemment, vous êtes, en ce moment, la cible facile de toutes rencontres littéraires mais plus encore pour ce thème, sans mentionner le buzz énorme que fait votre premier roman, vous êtes le père d'un texte qui, pour les PADA, comporte tous les indicateurs de la marginalité qui auraient dû cantonner ce Tram 83 dans la marge de son état de manuscrit.

1. Le premier axe que nous allons tenter d'explorer est votre choix, dans ce Tram 83, de conter l'histoire de Lucien, l'homme "normal" qui se retrouve plongé dans la vie d'un bar, un nganda, d'une ville-pays qui voit s'agréger des personnages tous plus hétéroclites les uns que les autres. Des canetons - mineures prostituées (même si vous n'aimez pas ce terme) - de étudiants crèves-la-dalle, des mineurs aux mines patibulaires, des touristes à buts lucratifs, des excavateurs de minerais... etc, etc... et, dans ce lot, des individus encore plus colorés qui "vivent" nuitamment dans ce Tram 83 : Requiem (ami ? de plus d'un tour dans son sac qui héberge Lucien), Malingeau (blanc-pays dans ce bouge du tout-monde), un éditeur virtuel, Émilienne l'amoureuse, La Diva...et, évidemment, la gare inachevée, personnage à part entière de ce Tram 83. Puis, on se rend compte à quel point vous, Fiston Mujila, vous êtes un conteur malin. Malin car, contrairement à la première impression, ce n'est pas la description d'un homme tombé dans un monde de marginaux que vous nous proposez, mais, c'est radicalement l'inverse ??

2. En second lieu, j'aimerai aborder la marginalité stylistique de ce texte. Quand j'ai commencé la lecture de ce Tram 83, j'ai eu du mal, du mal à entrer dans votre narration poétique, extrêmement stylisée, puis j'ai réalisé, avant même de vous "voir en action", que je ne devais pas lire ce texte. Fiston Mujila, vous nous avez pondus là un texte à dire, un texte à hurler, un texte à chanter, un texte à slammer... à faire ce que l'on veut, mais à mettre en voix. Bref, quand j'ai commencé à me dire le texte à haute voix (intérieur), le récit m'a frappé, il est devenu autre. J'aime à me présenter comme un aspirant griot, mais vous avez fait mieux, vous avez, tel un chanteur de R&B, remixé le griolisme oral de l'Afrique de l'Ouest en une sorte d'exultation oral-écrite totalement 21ème siècle. Comment cela vous a été possible ? Est-ce votre chapeau de dramaturge qui n'a pas voulu céder au romancier, ou/et le poète qui s'est absolument imposé au story-teller ?

3. Enfin, pour faire le lien avec cette marginalité dans laquelle l'Europe cantonnerait les littératures des Afriques, le parcours de votre manuscrit est des plus symboliques. En baroudeur des éditeurs vous l'avez porté pendant des années avant qu'il ne jaillisse à la lumière... occidentale. Les littératures des Afriques ne sont, à mon sens, pas marginales dans leur vie occidentale, puisqu'elles constituent les murs extérieurs de la réalité littéraire locale - n'en déplaise à Miguel Torga - mais est-ce que votre " Tram 83 " a réussi à toucher ce Graal qu'est le lectorat des Afriques ? Sans forcément localiser géographiquement ce lectorat, avez-vous le sentiment d'être entré dans les Piles à Lire des lecteurs de racine africaine ? Et, au final, pour vous, cela a-t-il la moindre importance ?