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[note de lecture] Sandra Moussempès, "Sunny girls", par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

 
MoussempèsSunny girls pourrait se lire comme un script composé de poèmes, car le motif qui file, le long dudit livre, est le monde du cinéma, avec ses techniques, son champ lexical (un motif construit dans toute l’œuvre de Sandra Moussempès). Un script construit comme un patchwork (« nous reconstituons le patchwork », glisse la poète), comme un montage de poèmes, dont les personnages centraux, sans être désignés comme tels, allégoriquement, seraient Poème et Poésie. Ainsi sont-ils pensés à la vitesse d’une bobine de film (« j’ai décidé d’écrire ce poème à la vitesse de trois centimètres par minute »), où ils font leur casting en permanence, jouant plusieurs rôles, premiers ou seconds, le tout dans une apparence d’époque vintage (judicieusement appuyée par la couleur rouge flashy de la couverture) (une époque qui pourrait correspondre à l’enfance de la poète), posant un décalage de temps, d’univers, qui produit la dérision du ton, entre humour grinçant et réflexion sur le temps et ses époques. Le décalage s’appuie aussi sur un recours à des mondes d’étrangeté, comme la légende, le mythe, le paranormal, le western gothique, à quoi s’ajoutent, subrepticement, en images subliminales, des fragments autobiographiques. Les « sunny girls » sont ces personnages de second ordre des séries B ou de télévision (qu’on appelait jadis téléviseur), « les « pin-up en devenir » ou « nymphette » ou speakerine scintillante », ou, aussi bien, par sarcasme, que les « faux punk » ou fausse vraie lesbienne, mais pour lesquels on dissimule difficilement une certaine tendresse, parce que, justement, liés à sa propre enfance. Aux personnages de fictions cinématographiques ou mythologiques s’entremêlent des personnages de la dite vraie vie, comme Olwyn Hughes (présentée comme la belle-sœur de Sylvia Plath), que connaissait la poète, ou John Cage ou le propre fils de Sandra Moussempès, quoi confère à l’ensemble une veine pudiquement autobiographique et sans complaisance, « je ne ménage plus la midinette en moi sulfurée d’amour et de destinations cosmique », observée, de la telle manière : « avec le détachement d’une enfance réelle ». Poème et Poésie choisis pour casser une image de l’enfance tenace ? Lui et elle fusionnent en un « je » tantôt homodiégétique, tantôt hétérodiégétique, participant d’un brouillage de l’écran. Mélanger fiction poétique et réalité à la vitesse d’écriture est la « raison d’écrire » de Sandra Moussempès :  
 
«RAISON D’ÉCRIRE 
 
Chaise pliante sur une petite scène de 3 m 3, la phrase elle-même se déplie et le poème s’arrête tant l’éclairage est violent, les cris d’un bébé fille viennent aussi rompre l’élan du poème, sa mère l’enlace, mon fils joue au ballon, ses cheveux deviennent vraiment longs, une femme le prend pour une fille, alors le poème reprend en différé, je peux remonter dans le temps sauf si le ballon vient taper dans la vitre de ma voiture, je peux recommencer en choisissant d’assembler mes croyances. » 
 
Elle l’écrit : « Nous avons des pensées qui nous hantent et nous fixent des points de non-retour / Nous sommes à l’intérieur de nos pensées en caméra objective », mais avec la « caméra subjective » sur l’épaule. Le ci-livre-script est agencé en séquence de quinze plans, posant une certaine distance avec la narration dudit livre, une distance autant froidement ironique qu’affectivement mémorielle. L’ensemble donne une critique sur l’artificiel qui nous gouverne à plus ou moins grande échelle, aussi bien en soi que dans la réalité. Des « sunny girls », il en existe à foison, ou équivalemment, en toute époque, elles évoluent devant et au dessus d’un « miroir aux fées », dans l’auto-illusion, et ce peut-être vous comme moi, aussi, tel livre n’est point si ancré dans une époque révolue, il prend place dans le temps ; un temps critique. Un livre vertigineux, et tourbillonnant de sorte à vous ramener à la réalité. 
  
[Jean-Pascal Dubost] 
 
Sandra Moussempès, Sunny girls, Flammarion, 196 p., 17 € 
 
 


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