Au Panthéon des héros français, tel qu’il se dessine hors de nos frontières, figure Napoléon dont la légende dorée perdure. Combien de fois ai-je entendu citer son nom avec admiration, en Chine, au Liban ou en Allemagne (où on lui reconnaît notamment un rôle de législateur de premier plan) ? A l’opposé, depuis quelques années, dans une France où la détestation de soi est devenue une mode, il est de bon ton de ne considérer que sa légende noire. En d’autres termes de voir en lui non le réformateur de l’Etat moderne, non l’inspirateur du Code civil puis du Code pénal, non celui qui mit fin à l’Inquisition espagnole, mais le Consul qui rétablit l’esclavage, le despote prédateur de libertés, le chef de guerre responsable d’innombrables morts. Les deux approches relèvent de l’excès et on leur préférera le regard humoristique que portent sur l’Empereur Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière dans une sorte de « roman graphique » qui vient d’être réédité un demi-siècle après sa première parution, Le Petit Napoléon illustré (Wombat, 128 pages, 13 €).
L’éditeur a choisi d’insérer ce livre dans sa collection « Les Iconoclastes » - heureuse initiative car les dessins de Pierre Etaix, impertinents, parfois féroces mais toujours fins, drôles et dénués d’agressivité, relèvent bien d’une joyeuse iconoclastie. Le rapport de Napoléon aux femmes, aux institutions, au pouvoir, à l’armée est ainsi croqué avec un beau sens de la dérision, un humour parfois noir et un second degré qui suscitent le sourire et le rire. Et c’est sans doute dans sa relation à l’ego que les auteurs se montrent les plus observateurs et les plus perspicaces.
Le lecteur sera forcément sensible au graphisme minimaliste de Pierre Etaix ; pour autant, les pastiches, très travaillés, qu’il livre en fin de volume emportent encore davantage la conviction : rien n’est plus réjouissant que les détournements « napoléonisés » de célèbres œuvres de Paul Klee, Van Gogh, Chagall, Rouault, Picasso, Buffet ou Dubout.