Il y a 250 ans : Calas réhabilité

Publié le 09 mars 2015 par Vindex @BloggActualite
Bonjour à tous,
Commémorons aujourd'hui la réhabilitation de Calas, il y a 250 ans. Ce protestant au coeur de l'affaire qui porte son nom fut en effet emblématique de la deuxième partie du XVIIIème siècle et de l'affirmation de idées des Philosophes des Lumières. Cette affaire est une des plus importantes du siècle et constitue le symbole de la pensée des Lumières sur la religion. Mais en quoi et surtout avec quelles conséquences, en sachant que cela précède de seulement quelques décennies la Révolution Française ? 
-Voltaire a joué un grand rôle dans la réhabilitation de Jean Calas-

L'affaire Calas

Le contexte
Cette affaire débute précisément le 13 octobre 1761 à Toulouse. Le Royaume de France est à cette époque engagée dans la guerre de Sept ans (1756-1763). Considérée comme la première guerre à être mondiale, elle oppose d'un côté la France et ses alliés des Etats germaniques, la Russie, la Suède, l'Autriche, l'Espagne... au clan Anglais et ses alliés, notamment la Prusse, le Portugal et quelques petits états germaniques. Or après de bonnes victoires, la France se trouve dans des dispositions plus difficiles d'autant plus que les combats ont lieu en Europe mais aussi en Amérique du Nord, aux Antilles, en brefs, dans les colonies des Etats engagés. D'un point de vue religieux le contexte est le même depuis 1685 et la révocation de l'Edit de Nantes : une intolérance institutionnalisé vis à vis du protestantisme qui est alors interdit et réprimé. La révocation était même confirmée par la déclaration du 5 juin 1716 et celle du 14 mai 1724. Ainsi les huguenots risquaient la galère (pour les hommes), l'enfermement (pour les femmes) et la confiscation des biens. L'année suivant le début de l'affaire Calas vit d'ailleurs l'exécution du pasteur François Rochette à Toulouse.Malgré la retentissante affaire, il faut toutefois relever que les années 1760-70 semblent être propices à une tolérance grandissante à l'égard des protestants (majoritairement calvinistes en France) et c'est peut-être aussi pour ça que l'affaire fit tant de bruit : elle était peut-être déjà "en décalage avec son temps" puisqu'elle relevait davantage d'un esprit relevant des guerres de religion. 
Les faits, le procès
L'histoire commence le 13 octobre 1761, jour pendant lequel Marc Antoine Calas, fils d'un marchant protestant de Toulouse, Jean Calas, se suicide par pendaison pour des raisons inexpliquées. La famille déguise le suicide en meurtre pour éviter le sort particulièrement humiliant réservé aux cadavres de suicidés. De ce fait une rumeur court vite sur la "véritable" version des faits : Marc Antoine aurait été tué par son père Jean du fait de sa volonté d'abjurer, c'est à dire de se convertir au catholicisme. C'est sur la base des "on dit" qu'une enquête est vite menée et conclut à la culpabilité du père alors que le clergé toulousain fait du fils un martyr. Le Parlement de Toulouse en arrive à la même conclusion sans pour autant se baser sur plus de preuve que lors de la première enquête. L'erreur manifeste n'empêche pas Jean Calas d'être soumis à la question (torture ayant pour but d'obtenir des aveux) puis au supplice de la roue le 10 mars 1762. Il n'avoue pourtant rien, clamant son innocence. Suite à cela, il est donc étranglé puis brûlé. 
Une affaire d'Etat
Bien sûr, si ce procès est devenu une "affaire", c'est bien qu'elle a suscité une émotion, notamment chez Voltaire. D'abord peu intéressé par le procès (il pense que le père est coupable), change ensuite d'avis suite à la rencontre avec le petit frère de Marc Antoine, et prend la défense de Jean Calas, convaincu qu'il s'agit d'une erreur judiciaire. Il souhaite obtenir la révision du procès en vue de réhabiliter Calas et réparer sa veuve. C'est dans ce contexte qu'il écrit une de ses oeuvres les plus connues : le Traité sur la tolérance à l'occasion de la mort de Jean Calas en 1763.  A force de réclamation et de communication (par des lettres, des gravures et estampes...), l'affaire est évoquée au conseil d'Etat en juin 1764 qui casse les jugements précédents.

Calas Réhabilité

Autour de la réhabilitation
A force de pression donc, les résultats des premières enquêtes sont donc annulés. Mais selon Voltaire, il en va également de l'honneur de la famille Calas et celui-ci aussi doit être réparé publiquement. Il réussit à obtenir une révision du procès et un arrêt déclarant l'innocence de Calas le 9 mars 1765. La femme de Jean Calas obtient réparation (une pension de 36 000 livres). Néanmoins, le parlement de Toulouse refuse d'admettre cette déclaration et de revenir sur son jugement. Le capitoul de Toulouse est quant à lui démis de ses fonctions et finit... par se suicider... la boucle est bouclée en somme. 
Les conséquences de l'affaire
-Sur la Tolérance et les lumières : D'un point de vue religieux, l'intervention de Voltaire dans cette affaire n'est pas tant une charge contre l'Eglise Catholique que contre le fanatisme en général. On peut l'affirmer de manière certaine du fait de sa première opinion de l'affaire : il avait d'abord porté un jugement négatif à l'égard de protestants qu'il considérait comme fanatiques, avant d'en savoir plus sur la position des juges et leur manière de traiter l'affaire qui emprunte plus à de l'intolérance populaire qu'à la raison (autre principe fort du mouvement). C'est donc contre le fanatisme et pour la tolérance qu'il s'engage et se mobilise. C'est aussi pour ça qu'il écrit donc son Traité sur la tolérance. L'ensemble des événements donne un impact plus grand au courant philosophique qui dans ce même contexte gagne en influence dans l'opinion publique (L'Encyclopédie malgré les critiques et interdiction reprend sa publication en 1762). En vérité aussi, il faut bien insister sur le fait que Voltaire universalise sa cause et n'en fait pas la défense d'une famille en particulier, mais du bien public voire de l'humanité. 
-Sur l'Ancien Régime : Le fait de casser une décision de justice à l'aide d'un autre tribunal fut une véritable nouveauté judiciaire. C'est ici les institutions d'Ancien Régime qui se contredisent. Certes de nos jours, que des arrêts soient cassés ne semble pas poser de problème. Mais pour l'époque c'est une brèche qui s'ouvre dans un Ancien Régime. Cette déclaration de réhabilitation démontre la force moins importante de l'Etat et surtout de sa plus grande sensibilité à une opinion publique montante et dynamique. D'un point de vue judiciaire, la défense de Calas par Voltaire entraîna une mutation de cet ordre qui auparavant n'était pas soumis à une opinion publique mais à des débats secrets. Le fait même qu'une personne vole au secours d'un accusé n'est pas prévu et l'accusé et sensé présenter seul sa vision des faits sans avocat. Il devait subir des interrogatoires sans même connaître son chef d'inculpation et subissait bien souvent la question. Seuls les familles les plus riches peuvent organiser un défense à l'aide de personnes connaissant le droit. L'ensemble de ces procédés arbitraires sont critiqués par Voltaire qui les outrepasse par son intervention. 

Conclusion : La postérité de l'affaire


On peut dire que cette affaire eut un retentissement certain. Si elle n'est pas la seule à avoir bousculé la politique à l'époque moderne, elle fut une sorte de modèle du genre dans le sens où elle lia à la fois l'erreur judiciaire, l'intervention du milieu intellectuel, la cause et la critique du régime. L'affaire Dreyfus un peu plus d'un siècle plus tard (1894-1906) démontre quelques points communs dans un contexte toutefois différent et avec un écho autrement plus important (et conflictuel) dans la société. Laissant place à une abondante littérature, l'Affaire Calas fut aussi une source d'inspiration pour des films et séries (comme le film Voltaire et l'Affaire Calas qui date de 2007). 
Sources :
Wikipedia
André ZYSBERG, La monarchie des Lumières, 1715-1786.
EHESS
Pour en savoir plus :
Ministère de la Justice. 
Vin DEX