Le 8 mars, journée des droits des femmes, mais pourquoi se limiter au 8 mars?
Poursuivons avec nos lectures "féminines.
Aujourd'hui, un essai.
A suivre...
Cap sur "La mutante" de Marie-Laure Susini (Albin Michel, 298 pages), un très intéressant essai sous-titré "La nouvelle femme, le pouvoir et les hommes". La psychanalyste française y fait le portrait de six pionnières, six rebelles, trois d'hier (George Sand, Gabrielle Chanel, Margaret Mitchell), trois d'aujourd'hui (Lisbeth Salander, Marissa Mayer, Crista), avant de poser de bonnes questions sur l'avenir. Et si le patriarcat s'écroulait? Et s'il était remplacé par un nouveau matriarcat?
Mutante. Le terme paraît fort. C'est celui qu'a choisi Marie-Laure Susini pour parler de cette nouvelle femme qui peut aujourd'hui procréer toute seule. Pas comme dans la chanson de Jean-Jacques Goldman, "Elle a fait un bébé toute seule". Vraiment toute seule. Grâce à une intervention de la science sur son corps. Avec les conséquences que cela implique sur leur sexualité, leurs relations aux hommes, leur pouvoir. La psychanalyste a mené ses recherches mais ne juge pas cette évolution. Au contraire, elle plaide pour un futur joyeux. "Ce sont elles, les mutantes, qui désormais sont aux commandes, pour que les hommes et les femmes inventent ensemble leurs nouvelles relations. Avec humour."
Marie-Laure Susini. (c) Sandrine Expilly.
L'idée du livre est liée à la PMA (procréation médicalement assistée). "Le problème fondamental des femmes est celui de la contraception, qui a été un changement fondamental pour elles. Ce véritable bouleversement dans l'histoire des femmes et de l'humanité leur a donné la liberté sexuelle et permis de travailler comme les hommes. Dix ans plus tard est arrivée la PMA, qui a permis la dissociation de la sexualité et de la procréation. Les hommes sortent alors de leur fonction procréative. Il y a donc un avant et un après la PMA."Compliqué? Non, pas quand on lit "La Mutante". Les portraits d'héroïnes ont une richesse et une fluidité qui incitent à poursuivre la lecture. Marie-Laure Susini raconte tellement bien. Ses biographies fouillées sont passionnantes et donnent à voir des choses peu connues qui font réfléchir, qui changent de bout de lorgnette. "En réalité, c'est très écrit pour parvenir à cette simplicité. Il n'y a pas de concepts apparents, je préfère les récits de vie aux démonstrations. J'aime raconter des histoires. Mon challenge est que mon écriture soit simple et agréable à lire."
Challenge réussi dans les six chapitres qui nous donnent d'abord à connaître George Sand, écrivain de best-sellers au XIXe siècle, Gabrielle Chanel, créatrice de mode avant la Première Guerre Mondiale et Margaret Mitchell, l'auteur de "Autant en emporte le vent" (1936). "Ce sont trois femmes qui ont intégré le monde des hommes au temps du patriarcat. Elle ont des parcours très marquants", rappelle Marie-Laure Susini qui permet d'apprécier au-delà des préjugés ces pionnières, ces rebelles, ces sacrés caractères.
Dans la deuxième partie, contemporaine, elle fait le portrait de Lisbeth Salander, l'héroïne de "Millénium", la trilogie écrite par Stieg Larsson, de Marissa Mayer, la PDG de Yahoo, et de Crista, portrait-robot de la mutante, né de la lecture de magazines féminins français. "Toutes trois ont voulu libérer les femmes après s'être libérées de leur condition de femme. Elles sont des rebelles contre leur propre condition féminine."
"La mutante" se lit facilement et apprend plein de choses. Chaque chapitre s'ouvre sur une scène littéraire de sexe, pour bien rappeler que c'est là que tout se passe, que tout se décide. Et s'achève sur la leçon à tirer de la rebelle entrevue ainsi que sur l'image qu'elle donne. Marie-Laure Susini n'hésite jamais à rappeler les notions déjà vues et à leur en ajouter de nouvelles. On est comme à un cours magistral rudement bien donné. On y découvre George Sand, cougar d'hier, Gabrielle Chanel, femme de harem, Marissa Mayer, indépendante de son marin et Crista... Sacrée Crista! L'avenir? Pas certain.
En ce qui concerne l'avenir, Marie-Laure Susini pointe deux dangers. "La liberté des femmes, c'est la contraception, il faut qu'elles continuent à se battre. Les religions veulent réduire la condition de la femme à sa condition procréatrice. A cause des extrémismes religieux, l’IVG est menacée dans de nombreux pays. Les femmes doivent être très vigilantes là-dessus."
On se rappellera des déclarations fin novembre à Istanbul du président turc Recep Tayyp Erdogan. Il y affirmait tout simplement que les femmes ne pouvaient pas être naturellement égales aux hommes. "Notre religion (l’islam) a défini une place pour les femmes (dans la société): la maternité."L'autre menace que pointe la psychanalyste, c'est que "les femmes prennent trop au sérieux leur nouvelle autorité, sur les enfants notamment. Elles sont responsables de la vie même si elles peuvent faire des enfants sans les hommes. Elles doivent prendre conscience de tout cela et traiter les hommes en hétérosexuels. Pour faire de nouvelles relations entre les hommes et les femmes."
"Certaines personnes peuvent le comprendre, d'autres non. Vous ne pouvez pas expliquer ça aux féministes parce qu'elles n'acceptent pas l'idée-même de la maternité", ajoutait-il.
Sur sa lancée, le chef de l’Etat turc assurait qu'hommes et femmes ne pouvaient pas être traités de la même façon "parce que c’est contre la nature humaine". "Leur caractère, leurs habitudes et leur physique sont différents (...) vous ne pouvez pas mettre sur un même pied une femme qui allaite son enfant et un homme."