Le coup du chapeau (en anglais : hat-trick) est un terme sportif d'origine anglophone associé à trois actions décisives faites par le même pratiquant au cours d'un unique événement sportif. L´expression vient du monde du cricket: elle entra en usage après qu´un célèbre joueur de cricket, HH Stephenson ,réussit à faire tomber trois guichets (ce qui élimine le batteur) en trois lancers consécutifs lors d'une partie du 11 anglais contre les 22 de Hallam au Hyde Park Ground à Sheffield en 1858. Pour marquer l'événement, une quête fut effectuée en son honneur comme il était alors d'usage pour les joueurs qui venaient de réaliser un exploit exceptionnel, et H.H. Stephenson se vit remettre un couvre-chef acheté avec l'argent ainsi récolté. Au football, on parle d´un coup de chapeau lorsque un footballeur parvient à marquer trois buts au cours d´une partie, un triplé, mais ce triplé n'est coup du chapeau que lorsqu’il s’agit de trois buts consécutifs, sans qu’un joueur adverse ni un coéquipier n'ait marqué entre-temps. En Allemagne, lors de la rencontre du 25 avril 1984 entre le FC Bayern et Eintracht Braunschweig, le footballeur Dieter Hoeneß marqua cinq buts consécutifs pour le Bayern de Munich, ce qui constitue encore aujourd´hui le record allemand en la matière.
De manière plus informelle, on parle d´un coup de chapeau lorsqu´un joueur réussit un coup de maître dans sa discipline.
Et dans le monde du ballet, le Theater-am-Gärtnerplatz vient de réussir un hattrick, un magnifique triplé, en invitant trois chorégraphes à réaliser chacun un ballet dans lequel il interprète le monde du football, des ballets d´une conception et d´une interprétation telles qu´ils ont tous remporté le titre de champion décerné par un public délirant d´enthousiasme et de reconnaissance. Coup de chapeau et chapeau bas pour ces chorégraphes et ces danseurs d´exception qui ont livré un tel spectacle, et pour le théâtre qui en a eu l´idée et en a permis la réalisation. Un triplé consécutif et réussi!
Chacun des chorégraphes, Jo Strømgren, Jacopo Godani et Marco Goecke, a librement transposé sa vision du monde du football dans le langage de la danse.
Après y avoir créé Arsenic – a rococo thriller au Théâtre Cuvilliés en mars 2014, le Norvégien Jo Strømgren revient à Munich avec un deuxième spectacle, A Dance tribute to the Art of football, pour lequel il a également conçu le décor et les éclairages. Un décor de scène simplifié et entièrement noir, du plancher aux glissières des coulisses et au rideau de fond de scène. Sur le plancher les lignes délimitant le terrain de foot viennent d´être tracées à la chaux, la brouette contenant la chaux est encore renversée sur la droite en avant-scène. Deux fanions rouges sont eux aussi renversés au bord du terrain, quelques plantes basses l´entourent. Le décor n´est là que pour le symbole, c´est le langage des corps qui importe. Le travail de Strømgren déconstruit souvent avec beaucoup d´humour les barrières stéréotypées entre le football conçu comme un phénomène de masse et le ballet considéré comme une forme d´art distinguée. Jo Strømgren réfléchit sur ces deux formes de divertissement et cherche à en dégager les similitudes et les différences: les exigences de l´effort physique, le triomphe et la défaite, les rituels sur le terrain et dans les vestiaires, mais aussi les fantasmes souvent non avoués, tabouisés, que tout cela suscite dans le public ou chez les proches des joueurs, comme la promiscuité dans les vestiaires et les fantaisies homoérotiques, et le dégoût que d´aucun.e.s peuvent en avoir. Le monde du football est directement évoqué dans cette première partie du spectacle par les costumes des danseurs et la présence d´un ballon de foot manipulé au bout d´une tige par un actionniste qu´on ne voit pas, mais qui est d´une précision géniale dans sa manipulation du ballon qui doit rencontrer au bon moment et au bon endroit la tête ou le pied des danseurs qui sont supposé se le passer. Les mouvements du foot sont décortiqués par les danseurs avec une interprétation chorégraphée des jeux de passe, jeux de pieds ou jeux de têtes, qui sont coordonnés avec une précision millimétrée. Plus tard, le chorégraphe crée une série de tableaux où il met en place les danseurs statufiés en plein mouvement autour d´un ballon fictif cette fois. Le ballet se déroule sur des musiques de Flugschädel auxquelles viennent se mêler des extraits d´opéras de Giordano et Donizetti. Tout cela donne une oeuvre qui procède d´une analyse à la fois lucide et ludique dans une mise en forme fascinante exécutée par les excellents danseurs et les danseuses de la troupe du Theater-am-Gärtnerplatz.
Le travail de Jo Strømgren est sans doute la chorégraphie la plus explicite du spectacle car les référents au monde du ballon rond y sont visibles et clairement reconnaissables dans les mouvements des danseurs. Ces référents directs disparaissent dans les deux chorégraphies suivantes, à l´exception peut-être les maillots de corps de la dernière partie du spectacle.
Marco Goecke, chorégraphe résident du Ballet de Stuttgart depuis 2007, a lui aussi déjà collaboré avec le Gärtnerplatzzheater en 2014 pour le spectacle de danse Minute Maid. Il y revient à présent pour y présenter sa chorégraphie d´un extraordinaire numéro de danse solo intitulé Cry Boy. Cry Boy est le résultat d´une réflexion sur le monde intérieur du footballeur, sur sa face cachée, son émotionnalité. Le football est un monde masculin dans lequel, dit-on, c´est bien connu, les hommes ne pleurent pas, et surtout pas les joueurs de haut niveau, qui sont des "role models", des figures d´identification, des idoles ou des héros aux yeux du public. Ils sont soumis à quantité de pressions avec obligation de performances et de résultats sportifs. Ils doivent réprimer leurs angoisses, les corseter dans leurs corps d´acier, il leur faut ravaler leurs sanglots. Vae victis! Cette dualité et l´extrême tension qui en résulte sont ici exprimées par le travail du danseur sur des musiques de The Cure. Lors de la première on a pu apprécier l´excellentissime Javier Ubell, un danseur de formation américaine qui est membre de la troupe munichoise depuis la saison 2013/2014, et qui interprète en virtuose ce rôle qui exige une rapidité et une agilité extrêmes des mouvements.
Après l´entracte, Jacopo Godani, un chorégraphe qui reprendra la direction artistique de la Forsythe Company à Francfort dès la saison prochaine, une compagnie où il fut lui-même soliste, propose Versus Standard, une chorégraphie pour six danseurs et danseuses, dans laquelle il livre les résultats de ses recherches sur les structures et les éléments des sports d´équipe, sur une musique originale, spécialement créée pour ce ballet par 48Nord. Le football est un sport qui suppose un esprit d´équipe parfait, un rapport constant aux autres joueurs. C´est aussi un sport de l´imprévisible où il s´agit d´accommoder instantanément à la réalité du terrain les stratégies mises en place lors de l ´entrainement. L´improvisation et une concentration constante tant sur son propre jeu que sur celui des autres sont nécessaires. Dans la chorégraphie de Godani, cela se traduit par des mouvements de groupe exprimant les positions et les formations avec des points d´équilibre rompus alors qu´ils sont à peine atteints, dans un langage chorégraphique inventif mais qui fait aussi appel à l´expression classique, comme lors d´un extraordinaire pas de deux d´une beauté à couper le souffle. Pour son ballet, Godani a supprimé le rideau de fond de scène; alors que le public rentre dans la salle, il voit des danseurs et des danseuses en train de s´échauffer comme le feraient des joueurs avant un match de foot.
Hattrick, trois fois chapeau bas pour ce nouveau succès du Theater-am-Gärtnerplatz, un des meilleurs spectacles de la saison munichoise. A ne pas manquer!
Du 7 au 14 mars (relâche le lundi 9 mars) à la Reithalle. Réservations cliquer ici puis sur la date choisie. Il reste de la place pour toutes les représentations!
Crédit photographique: Marie-Laure Briane