Avant de donner son nom à son invention, il se voulait peintre, et grand admirateur des classiques. Aussi décida-t-il de montrer en un seul tableau toutes les richesses du Louvre, et d’ainsi les transplanter virtuellement en Amérique pour éduquer ses compatriotes et leur révéler le beau. Ce n’est pas une vue réalistique de cette salle de l’aile Denon, mais une galerie imaginaire où il regroupa côte à côte tous les trésors du musée : il allait de salle en salle avec sa grande toile roulée sur un chariot et reproduisait les tableaux ici et là. Nous sommes en 1831 et Samuel Morse n’est encore connu que pour sa peinture. Devant cet encyclopédisme éclectique et ce prosélytisme, on pense bien sûr au Cabinet d’amateur de Perec. Son tableau n’eut aucun succès, la foule américaine ne fut guère intéressée par l’art du Louvre, les entrées dans la salle qu’il loua à New York pour le montrer furent dérisoires, le tableau fut vendu pour un prix ridicule et Morse décida d’employer son talent dans un autre domaine.
Ce tableau a été montré au Louvre il y a deux ans, et sa réincarnation vient de resurgir dans la galerie Martine Aboucaya, jusqu’au 18 juin au fond de l’exposition ‘Dear Prudence’. Le tableau Galerie du Louvre est muté, pixellisé, transformé en une image vidéo hypnotique, stroboscopique, hésitante. C’est à peine si on distingue les cadres des tableaux, peut-être les silhouettes des personnages qui s’effacent aussitôt pour réapparaître dans une autre couleur clignotante, vibrante. C’est comme si on atteignait ainsi l’essence même de l’entreprise de Morse, sa volonté de transporter le beau par dessus les mers et son échec. Et les deux artistes responsables de cette transmutation sont ceux qui, ailleurs, jouent avec les codes, les alphabets, le temps (’Broken Morse’, d’Angela Detanico et Rafael Lain).
A côté, outre leurs noms d’étoiles, des cartes de la terre bleue comme une orange de Julien Discrit, grâce à Eluard, et un ‘Fauxself’ en néon de Berdaguer et Péjus, grâce à Winnicott.