Shine a light

Par Rob Gordon
Qu'est-ce qui peut pousser un type qui ne connaît rien aux Stones (sauf la géniale "You can't always get what you want" et quelques incontournables comme la reprise de "Paint it black" par Marie Laforêt) à pousser les portes de sa salle de cinéma et de s'installer devant Shine a light ? Le désir de découverte, sans doute. Le nom de Scorsese, forcément. Et une vraie curiosité : mais, palsembleu, pourquoi l'univers s'obstine-t-il à comparer les Rolling Stones et les Beatles ? Y a-t-il un quelconque rapport entre ces deux groupes vaguement rivaux lorsque tous leurs membres étaient vivants, mais qui ne semblent guère jouer sur le même terrain ?
Shine a light apporte quelque réponses, et notamment celle-ci : si les Stones sont comparables aux Beatles, c'est parce qu'il s'agit d'un très grand groupe. Voir ces papys (deux siècles et demi à eux quatre) mettre à ce point le feu à une salle de concert (splendide Beacon Theater) et à une salle de cinéma est une vraie grande joie. Ça dépote. Ça remue. Ça électrice. Rock'n roll, baby.
Tout commence avec Marty Scorsese, un peu dépassé par les évènements : comment filmer ça efficacement, comment prévoir ses effets quand on ne dispose pas de la setlist, comment éviter qu'un projo fasse cramer Mick Jagger... C'est le premier film à intégrer son propre making-of (je vous vois venir, n'envoyez pas de courrier, d'autres ont évidemment déjà fait ça auparavant,^et même dans le cadre de films de fiction). Et c'est très amusant. Puis, passé ce premier quart d'heure d'exposition (où l'on constate que le stress n'atteint que le réalisateur et pas du tout les protagonistes), voici l'heure du concert. Et c'est parti pour une centaine de minutes de musique, à peine entrecoupées par quelques vannes de Mick et une poignée d'images d'archives souvent très brèves mais extrêmement bien choisies. On y comprend, malgré une surprenante économie de mots, à quel point les Stones ont compté et comptent encore. Et à quel point ils ont pu déranger, souvent malgré eux.
Quant à la musique, pour reprendre l'un des refrains-rengaines de l'ennuyeux Jean-Jacques Goldman (quelle horreur, parler de Goldman à propos d'un film sur les Stones), elle est bonne, bonne, bonne. Contrairement aux Beatles (qui ont pratiqué autant de genres musicaux qu'ils ont écrit de chansons), les Stones ont un style cohérent et relativement homogène, un rock'n roll qui ne crache pas contre quelques influences marginales. Le jeunot que je suis découvre, tout à tour, des morceaux plus puissants et entraînants les uns que les autres. Évidemment, pour le néophyte, il y a bien çà et là quelques chansons moins passionnantes, qui parleront surtout aux fans. Mais l'essentiel est là : être allé à la rencontre de ce groupe ô combien attirant. Quatre types très complémentaires et vraiment attachants : Mick, épais comme un manche à balai, est une bête de scène ; Keith a tout le temps l'air ailleurs mais il maîtrise pleinement son art (et chante pas mal, en plus) ; Ronnie ressemble un peu à un vieux rockeux fan de Paul Personne, mais c'est rigolo ; et Charlie et sa gueule de serpent persistent à cultiver le mystère. Assez magistralement filmés par Scorsese (ne vous attendez pas non plus à un cours de mise en scène ou à des sommets d'originalité), Shine a light rend un hommage essentiel et stupéfiant à ces quatre garçons plein d'avenir.
8/10