La magie des mots, par Francesca Tremblay…

Publié le 07 mars 2015 par Chatquilouche @chatquilouche

J’avais envie de pleurer.

La vraie créativité part des tripes et aboutit dans un cri.  Le cri peut être silencieux.  Il peut déchirer la nuit.  Il peut se perdre dans l’huile d’une peinture ou dans le sang d’encre d’une histoire, mais l’important, c’est qu’il parte des tripes.  Après, tout n’est que mascarade, car il faut sans cesse créer pour se sentir exister.

Je lui dis qu’elle est normale et qu’elle réussira à s’exprimer librement, si elle s’en donne la chance.  Derrière le glacis de ses larmes, elle me considère d’une étrange façon.  Dans un sourire, je lui dis que sa coquille explosera enfin et qu’elle s’envolera comme le papillon bleu que, jeune, elle rêvait de saisir.  Mais pendant que ces mots se fraient un chemin jusqu’à son cœur, j’ai tellement peur de mon ombre.  Je ne suis pas capable de trouver le courage de mes convictions parce que je n’en ai aucune.  Je suis là, à la rassurer, alors que mon potentiel s’envole en une nuée d’insectes noirs.  Et je demeure là, à écrire plutôt qu’agir.  Peu m’importe si je porte le même pyjama depuis des semaines, car l’héroïne du roman que j’écris ne le saura jamais.

Elle pense, pense, pense.  Elle me dit qu’elle a un problème, mais c’est moi qui en ai un.  Je n’éprouve aucune émotion parce que mon cœur a été enfermé dans une cage de verre et se montre à peine le bout du nez sur la mezzanine de mon cerveau.  Il voit à travers mes grandes fenêtres couleur noisette, la vie qui s’écoule et il se sent loin de tout, comme l’enfant malade qui regarde les autres enfants jouer dehors du haut de sa chambre.  Mon cœur porte une camisole de force pour éviter qu’il ne se blesse quand il en aura assez.  Quand il voudra se fracasser sur les parois de ma cellule grise.  Petit oiseau à qui j’ai coupé les ailes.  Il saigne à chaque pulsation et cavale après sa mort.

Je sais que le lépidoptère s’envolera un jour, et qu’elle trouvera enfin le chemin vers sa liberté.  Mais moi, je suis la passeuse d’âmes.  Je resterai là pour aider d’autres papillons à s’envoler, parce que c’est plus facile de vivre dans le fardeau de cette mission que de goûter à la vraie liberté qui a un prix que je ne veux pas payer.  Mon visage change soudain pour prendre les traits de la nuit qui borde mes pensées.  Au fond de leurs yeux scintillent les étoiles.  Ils ne savent pas qu’elles brillent en eux et je suis celle qui les aide à prendre conscience de cette existence.

Elle pleure maintenant sur mon épaule qu’elle éprouve des désirs pulsionnels, des désirs charnels et qu’elle ne peut pas comprendre pourquoi.  Elle me raconte toutes les fois où elle s’est sentie à côté de ses pompes, traversant les miroirs dont les reflets mensongers trahissent ses angoisses.  Et je pleure en silence que je n’ai pas de désir et que j’aimerais cent fois plus être à sa place qu’à la mienne.  Même si je lui disais, le papillon ne me croirait pas.  Ça n’existe pas quelqu’un comme moi.  Des larmes qui coulent par en dedans, ça fait d’immenses étendues amères qui noient les bouteilles à la mer.

Elle bat des ailes et je lui crie de ne pas y aller trop fort.  D’y aller doucement, étape par étape.  Que les oiseaux les plus fous parcourent des milliers de kilomètres, mais qu’ils débutent toujours par le premier battement d’ailes.  Que d’autres se fracassent le bec dans les miroirs des villes, ces immeubles qui grattent le ciel.  Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça…  Je vois sa moue inquiète et pour me faire pardonner, je lui fais un cadeau inestimable.  Je crois en elle.  J’embrasse ses fantaisies et la pousse à s’accomplir.  Je l’aime d’un amour inconditionnel, parce que l’amour donne des ailes.  Mais je ne veux pas qu’elle s’envole.  En fait, pas tout de suite.  Sa compagnie me rassure.  Des sourires se dessinent sur mes bras lorsqu’ils l’étreignent !

Mais un beau matin, j’ai vu par terre une coquille cassée.  J’ai regardé vers le ciel et j’y ai vu le soleil.  Éblouie, j’ai caché du revers de ma main, mes yeux peu habitués à l’éclat de lumière.  Elle avait été attirée vers la liberté parce qu’elle avait du courage.  Et je me retournai.  Je pris dans ma main la ficelle qui entourait mon petit corps et je vérifiai si elle était toujours aussi solidement attachée.  Je ne m’envolerai pas, j’avais tout fait pour que ça n’arrive pas.  J’avais coupé mes ailes d’oiseau bleu pour ne jamais être attirée par la soyeuse lumière de la vérité.

Après tout, je ne suis que l’élan qui pousse les autres à franchir la ligne.

Et je ne suis que la voix qui leur demande de rêver.

Notice biographique

En 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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