Giovanni di Modenna : L’enfer de Dante, San Petronio de Bologne, 1440
Pourquoi nous ne sommes pas religieux.
Faut-il tolérer l’intolérable ?
Brian Leiter, Bertrand Russell et Ibn Warraq.
Brian Leiter : Pourquoi tolérer la religion ?Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Louis Musquens, Markus Haller, 2014, 240 p, 16 €.
Bertrand Russell : La Mariage et la morale. Suivi de Pourquoi je ne suis pas chrétien,traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Gabriel Beauroy et Guy Le Clech,Les Belles Lettres, 2014, 296 p, 14,90 €.
Ibn Warraq : Pourquoi je ne suis pas musulman,traduit de l’anglais (Etats-Unis), L'Âge d'homme, 1999, 440 p, 25,36 €.
Les religions méritent-elles d’aller en enfer ? Jusqu’où faut-il tolérer l’intolérable ? Y compris s’il vient d’une religion… Qu’il vienne d’un dieu ou des hommes, d’une autorité prétendument suprahumaine ou étatique, il n’est pas pour autant dispensé de se taire devant les droits et les dignités de l’humanité. Ainsi, chacun à leur manière, trois auteurs, essayistes et philosophes, posent des conditions à la tolérance face aux religions, vont jusqu’à les refuser, non sans réfuter leurs fictions, momeries, fumisteries, supercheries et tyrannies. Brian Leiter propose une prudente et presque décisive « investigation philosophique et juridique » avecPourquoi tolérer la religion ? Bertrand Russell précisait avec fermeté polémiquePourquoi je ne suis pas chrétien, avant qu’Ibn Warraq, avec Pourquoi je ne suis pas musulman, ouvre le bal de son réquisitoire torrentiel et néanmoins informé.
Faut-il être plus tolérant envers les croyances religieuses qu’envers toutes les autres croyances et pratiques de nos sociétés ? Telle est la problématique fouillée par Brian Leiter, philosophe et juriste de l’Université de Chicago. En d’autres termes, respect à priori ou gestion rationnelle ? Lorsque « l’hyper-religiosité » américaine interdirait aux consciences de voter pour un Président athée, lorsque la charia se substitue aux mœurs républicaines, y compris dans des poches grandissantes du monde occidental, faut-il affecter la tolérance vertueuse ou poser les limites nécessaires à l’exercice des libertés ?
Les religions, sans aucune exception, sont évidemment des fictions. Dont la fonction étiologique et leurs causalités rassurantes n’ont pas reculé autant qu’on aurait pu le supposer devant les avancées scientifiques et la hausse de l’espérance de vie. Imaginant des entités métaphysiques improbables à l’origine des mondes et des vies, leur multiplicité incohérente et leurs intolérances réciproques, invalident forcément leur prétendue universalité. Chacune, non contente d’occuper le ciel et les consciences, d’y séparer de manière manichéenne le Paradis et l’Enfer, prétend attribuer à ses fidèles, ses officiants et dignitaires un pouvoir temporel plus ou moins absolutiste, s’alliant de plus avec des gouvernants animés des intentions les plus tyranniques. Ce pourquoi la séparation de l’église et de l’état, la laïcité, se doivent de poser des limites aux religions, limites sans lesquelles les libertés ne sont plus en sécurité.
Brian Leiter avoue en tête de son ouvrage être parvenu à des « conclusions plus favorables à la croyance religieuse » qu’il le pensait en initiant son « investigation », qui s’appuie sur l’auteur de la Théorie de la justice, John Rawls et sur John Stuart Mill et son De la liberté. Un Sikh peut-il garder son couteau à l’école, quand un garçon de la campagne ne peut pas ? C’est ainsi que notre essayiste pose le problème. Seul le premier aura gain de cause car sa religion le lui prescrit, non point pour en faire usage contre ses camarades. La religion serait donc exemptée de règles communes ? « L’idéal moral de tolérance », issu de Voltaire et des Lumières, justifie la liberté religieuse. À moins qu’un Etat tolérant puisse être « soit religieux, soit antireligieux ».
La liberté de croyance et de conscience est constitutionnelle dans les démocraties libérales. Elle garantit un « espace privé », ce qui est un « fondement utilitariste de la tolérance », en même temps qu’une prémisse de la recherche de la vérité, voire de la vérité morale. Or, « nous voulons identifier la religion de telle sorte que nous puissions voir pourquoi elle a quelques obligations morales, et éventuellement légale, à être traitée différemment ». Cependant, elle est foi et non raison, quand la raison a failli à répondre à nos questions, quand la foi est une voie (et une identité) plus sûre, plus facile et plus péremptoire que les complexités de la quête de la raison ; au point d’amener ses thuriféraires à une obéissance aveugle, à des actes fanatiques et meurtriers… Qu’en est-il donc des « croyances qui ont pour conséquence probables (mais non certaines) ou qui impliquent des actes portant atteinte à la liberté », ce qui vaut pour bien des religions, et au premier chef l’Islam ? Un discours qui est un danger imminent, comportant « des prescriptions catégoriques odieuses », peut-il être réprimé ?
C’est alors que l’essai de Brian Leiter, théorique et rigoureux, peut sembler manquer de brio ; il n’en est pas moins une précieuse réflexion, là où l’individu est à la charnière de l’Etat et des religions. Si les religions ne violent en rien le principe de « non nuisance » (c’est la formule de John Stuart Mill), elles ont selon Brian Leiter, droit de cité (dans les deux sens du terme). Sinon, il conviendra d’établir des gardes fous au terme de la loi des démocraties libérales. Si la foi chrétienne (au mépris du message d’amour et de charité du Christ) permet de harceler des homosexuels, d’attaquer des écoles pour leur enseignement des sciences et de Darwin, quoiqu’elle ait pu résister contre le nazisme ou l’apartheid, elle n’est blâmable que pour ne pas respecter l’éthique pacifique de son maître à penser : le Christ.
Quel « droit de la liberté religieuse dans une société religieuse » ? se demande Brian Leiter. L’Etat doit protéger la liberté de conscience, mais pas au point de « constitutionnaliser un droit à la désobéissance civile », qui risque d’outrepasser celle de Thoreau[1]. En ce domaine les religions ne peuvent avoir plus de droits que les militants végétaliens de la « libération animale », ou anticapitalistes, qui, armés de leurs convictions plus ou moins rationnelles et justifiables, intentent des actions délinquantes et destructrices. « Les exemptions de lois généralement applicables pour des motifs de conscience qui n’imposent pas de fardeau aux autres » ne paraissent pas devoir poser problème. Quoique l’Etat ne doive pas « faire passer les revendications de conscience religieux avant ses autres objectifs moraux importants, comme la sécurité, la santé, le bien-être, l’égalité de traitement devant la loi »…
Est-ce à dire qu’il n’est pas tendre avec la laïcité à la française ? Si l’on doit avec lui déduire qu’en vertu du fait que le voile ne nuit ni à l’espace public ni à autrui, il demeure licite. Si cet argument est fort solide en apparence, permettant à Brian Leiter de requérir que cette interdiction est « un cas d’intolérance inadmissible » envers l’Islam, il reste que le voile, y compris consenti, quoique le plus souvent tyranniquement imposé, outre qu’il est attentatoire à la dignité de la femme, est l’un des chevaux de Troie de l’Islam et par voie de conséquence de l’islamisme coercitif et assassin (en cela comparable au nazisme -ce que notre essayiste envisage avec trop de prudence- dont les signes ostentatoires sont interdits), même s’il est hors de question de réduire tous les Musulmans au terrorisme. Il ne s’agit pas d’éradiquer des croyances, mais la charia installée aux dépends de la loi républicaine, mais des pratiques concrètement liberticides. Il faut admettre cependant que cette interdiction ne résout pas grand-chose, sans compter qu’elle n’est guère appliquée, faute de la fermeté d’un Etat pusillanime qui devrait de la même façon aller en toute cohérence au bout du raisonnement : interdire le Coran et ses appels au meurtre des impies, fermer les mosquées et les écoles coraniques dont la vocation dépasse la simple prière intime. Tâche épineuse, voire irréalisable, censure insupportable et persécution, protection des libertés ? Est-il sûr que Brian Leiter, en son essai rigoureux et si souvent pertinent, attentif qu’il est aux « Chrétiens réactionnaires » américains, soit assez averti au sujet de l’Islam ?
La brièveté de l’essai du philosophe analytique Bertrand Russel (1872-1970) n’entrave en rien sa force percutante et l’efficacité de son argumentation. Pourquoi je ne suis pas chrétien (1927) peut ne paraître qu’un addenda à une plus large réflexion sur Le Mariage et la morale, mais non content d’en être le corollaire, il en est l’acmé.
Dès la préface, écrite dans les années cinquante, il « considère sans exception les grandes religions du monde -le bouddhisme, l’hindouisme, le christianisme, l’islam et le communisme- comme fausses et néfastes ». L’ironie est corrosive, imaginant une divinité « se considérant récompensée par l’apparition finale d’Hitler, de Staline et de la bombe H. » De plus, la foi ne peut être ébranlée par une preuve contraire, ce qui l’entraîne à rêver d’un « monde libéré de la brutalité des groupes hostiles » et du fanatisme.
Pourquoi, avec Bertrand Russell, ne sommes-nous pas chrétiens ? Avec lui, nous récusons les prétendus arguments rationnels de l’existence de Dieu : « cause première », « loi naturelle », « plan » intelligent, « argument moral » et « remède à l’injustice »… « Pensez-vous que si l’on vous accordait l’omnipotence et l’omniscience et des millions d’années pour perfectionner le monde, vous ne pourriez rien créer de mieux que le Ku Klux Klan ou la fascisme ? », modestes exemples auxquels il faudrait ajouter (entre autres) Gengis Khan, Mahomet, Lénine, Staline et Mao…
Or « ce qui les persuade de croire en Dieu, ce n’est pas du tout un argument intellectuel. La plupart des gens croient en Dieu parce qu’on leur a appris à le faire dès leur petite enfance ». Ce à quoi il faudrait ajouter l’emprise de la « dérive sectaire », qui allie totalitarisme, prosélytisme et persécution[2]. Ce qu’il n’impute guère au Christ, auquel il reconnait plus d’une « excellente maxime », quoiqu’il lui reproche « une doctrine de cruauté » : en « laquelle le feu de l’enfer est la punition des péchés ». Selon Russel, la religion ne pousse pas toujours les gens à la vertu, et « bien des chrétiens se sont signalés par leur extrême méchanceté ». Il poursuit son réquisitoire en montrant « comment les Eglises ont retardé le progrès », en accablant l’indissolubilité du mariage, ce à quoi il pourrait ajouter aujourd’hui le refus de la contraception et de l’avortement… Il conclue avec verdeur en taxant la religion de « conception tirée du vieux despotisme oriental ». Que dirait-il en voyant l’état alarmant de l’Islam ?
Lorsqu’ensuite Bertrand Russel demande : La religion a-t-elle contribué à la civilisation ? », un plus que rien de mauvaise foi l’emporte. C’est faire fi des cathédrales et des bibliothèques abbatiales, de l’art chrétien, du libre-arbitre selon Saint-Thomas d’Aquin, de l’éclosion de l’athéisme qui est le corollaire du doute du Christ sur la croix, du pardon toujours possible, de la séparation de l’église et de l’Etat… Si notre philosophe expert en « fumisterie intellectuelle[3] », pèche parfois par son talent polémique à l’emporte-pièce, il fait cependant preuve, sans la moindre langue de bois, d’une rafraichissante et vigoureuse argumentation en faveur de la liberté et de la paix des mœurs.
Garofalo : L'Ascension du Christ, 1520-1530,Galerie Nationale d'Art Antique, Rome
En dépit du pacifisme du Christ, il faut à son égard rester méfiant. Tonnant contre ceux qui ne sont pas avec lui, il leur assure bien les flammes et la damnation éternelle. Mais cela, ce n’est après la mort, nous direz-vous ; certes, mais la tentation peut-être grande pour ses affidés d’étendre ce châtiment avant le passage en l’autre monde et d’user de la folie de Dieu par la main vengeresse des hommes sur d’autres hommes, ce dont témoignèrent l’inquisition ou le procès assassin du Chevalier de la Barre, dénoncé par Voltaire au XVIIIème. Le dieu de l’Ancien Testament est quant à lui plus explicitement vengeur, risquant alors d’offrir un exemple de comportement à ses sujets ; ce que souligne Peter Sloterdijk : « les premiers portraits de Yahvé, le Seigneur d’Israël, sont tissés d’anthropomorphismes (ou plutôt d’anthropopsychismes) manifestes. Tout lecteur de la Bible a pu se convaincre du fait que le Dieu de l’Exode unit encore les traits d’un démon climatique théâtral à ceux d’un warlord mugissant et qui ne se maîtrise pas. » Cependant, on a pu interpréter, après le Déluge, l’apparition de l’arc-en-ciel comme « un symbole de tolérance important pour les deux parties, qui doit exprimer sa volonté qu’un tel acte de destruction ne se répète jamais[4] ». Comme lorsque les Erinyes de la mythologie grecque, ces déesses infernales de la vengeance qui poursuivent le crime, deviennent les Bienveillantes, envisageant le pardon.
« En admettant que Dieu ne soit pas mort, est-ce trop demander à ses fidèles que de mettre un peu d’eau relativiste dans leur vin d’absolu ? », souligne le préfacier de Brian Leiter, Pierre Brunet. Hélas, la religion la moins capable de diluer son absolutisme, de par la nature de ses textes fondateurs, aussi bien que par le comportement intolérant et meurtrier de nombre de ses zélotes, est bien l’Islam. Ne faut-il pas imaginer, du fait de ce statut d’exception, de penser une exception dans la tolérance universelle et naïve ? Avec la méfiance suivante : l’Etat n’est pas forcément le mieux placé pour être justement intolérant...
Sultan Mohammad : L'Ascension de Mahomet,Khamsé de Nîzamî, 1539-1543, Tabriz, Iran.
La différence entre le Christianisme et l’Islam est fondamentale. Si les Juifs ont abandonné la virulence des Zélotes qui s’appuyait sur celle du dieu vengeur de laBible, quoique plus que tempérée par le « Tu ne tueras point » de Moïse, le premier, dans ses textes fondateurs des Evangiles, n’ordonne pas l’ombre d’une violence, sépare l’Eglise de l’Etat (« Il faut rendre à César ce qui est à César ») et pardonne à la femme adultère en déniant au pécheur le droit de châtier, a fortiori jusqu’à la mort. En revanche, l’Islam, en son Coran, ordonne : « Les hommes ont autorité sur les femmes » […] « celles dont vous craignez la religion, reléguez les dans les dortoirs, battez-les » ; quant à celles « qui sont perverses » […] faites-les demeurer dans les maisons jusqu’à ce que la mort les enlève »[5]. De même, il ordonne la décapitation des infidèles : « Quand vous rencontrez des effaceurs [du sentier d’Allah] frappez-les à la nuque, jusqu’à les abattre ». Il est à noter que ce sont sourates et versets de Médine, les plus chargés en djihad, qui abrogent ceux de la Mecque, antérieurs, s’ils viennent les contredire. Sans compter l’incohérence du livre, comme le trop fameux « Nulle contrainte en créance[6] », (ou en religion), vite contredit par l’injonction à tuer les apostats : « Allah ne pardonne pas aux effaceurs qui se détournent du chemin d’Allah et meurent en effaceurs[7] ».
L’écrivain et poète contemporain Abdelwahad Meddeb[8] compare l’intégrisme de l’Islam à deux autres « maladies » : l’intolérance pour le catholicisme, le nazisme pour l’Allemagne. Passons sur des proportions certainement discutables. Il impute à la crispation historique de l’Islam la pulsion totalitaire qui irrigue le wahhabisme, le salafisme, les Frères musulmans, Al Qaïda, et autres fanatismes islamiques, mais aussi la généralisation excessive de l’accès à la lettre du livre saint à des incultes d’abord inquiets de leur jouissance du pouvoir et du sadisme, sans compter le ressentiment contre la réussite occidentale. Mais c’est un peu rapidement oublier la tradition modelée par leur prophète : guerre de conquête et massacre, pillage, esclavage et infiltration par la dissimulation. Abdelwahad Meddeb veut pourtant conclure son essai sur une note d’espoir, en citant un récent ministre de l’Education nationale tunisien, Mohamed Charfi : « l’enseignement dans les pays arabo-islamique […] a besoin d’être expurgé de tous les propos contraires aux droits de l’homme et aux fondements de l’Etat moderne[9] ». Il s’appuie également sur les versets semblables à « Nulle contrainte en créance », comme « Que celui qui le veut croie et que celui qui le veut reste incrédule[10] », ce qui, selon les uns, est invalidé par la suite, « Nous avons allumé des brasiers chez les méchants », ou, selon des commentateurs comme Râzî, devrait suspendre la notion de djihad. Vœu pieux ?
Certes, nous l’avons dit, tout fidèle, et surtout détenteur du pouvoir, d’une religion, peut s’emparer de son drapeau pour commettre des abominations, ainsi firent le Ku Klux Klan en lynchant des hommes noirs, l’Eglise catholique en armant l’inquisition. Cependant, le Chrétien le fait en conspuant le message du Christ, quand le Musulman le fait en suivant à la lettre la vérité[11] indiscutable de son prophète : « le croyant ne doit pas avoir de repos tant qu’il vit dans un système politique non islamique ; sa vie ne prend de sens que si elle est consacrée à faire tomber la puissance étrangère dominante. » Ainsi Peter Sloterdijk explicite-t-il le « petit djihad », ce combat guerrier opposé et complémentaire au « grand jihad » qui, lui, est intérieur. Avant de conclure : « Leurs actes peuvent bien être répugnants, leurs citations sont sans erreurs.[12] » Il s’agit évidemment d’erreurs philologiques et non morales…
Il y a une religion tolérable, et une autre intolérable, à moins qu’elle observe la modération au point de récuser ses horreurs, au point d’être compatible avec la démocratie libérale issue des Lumières. Car « Allah est semblable au lion par la violence », relève Pietro Citati, qui, avec pertinence, range l’Islam parmi « les grands mythes dans l’histoire du monde[13] ». Il faudrait alors pratiquer sur le Coran une opération chirurgicale douloureuse et cependant indispensable, en effectuant l’ablation de tous les versets violemment sexistes et précisément guerriers à l’égard des infidèles, des apostats, du blasphème. Extraction d’une involution cancéreuse, amputation de deux membres, ou lobotomie du cœur et du système nerveux complets ? Sans oublier les hadiths et leur obsession du djihad, les fatwas, leur justice faite de châtiments corporels blessants et mortels, ainsi que les obligations connexes, quoiqu’elles ne soient pas toujours fondées sur le Coran : voile, excision…
Pour ne pas, en cette critique sans fard, nous taxer d’ethnocentrisme, il n’est pas inutile d’aller voir du côté d’un intellectuel américain natif de l’aire arabo-musulmane (en l’occurrence du Pakistan) : Ibn Warraq. Loin d’être une creuse diatribe, son Pourquoi je ne suis pas Musulman, est un festival d’argumentations aussi précises qu’imparables. Bertrand Russell aurait jubilé. Préfacé par Talisma Nasrin, dont la féminité et l’intellect eurent à souffrir de l’Islam, cet essai encyclopédique semble né à l’occasion de l’affaire Rushdie[14], à laquelle il consacre son premier chapitre : une sorte de boutefeu du réquisitoire au rang du grand art. Car tout est bois sec pour l’incendie conceptuel qui s’empare des pages aussi vives que rigoureuses d’Ibn Warracq. Les origines de l’Islam, qui s’extrait avec peine des religions précédentes, dont le mazdéisme, qui pilla outrageusement la Bible, le goût du surnaturel échevelé digne des Mille et une nuits, quand Mahomet fait son ascension au paradis, les crimes de ce dernier qui pratiqua « l’assassinat politique » et le « massacre des Juifs », les sources plus que discutables du texte sacré, biaisé par ses « versets sataniques », détruites par ses sectateurs avec la mort du prophète[15], les « erreurs historiques » du Coran, la « nature totalitaire » du message, la séparation fratricide entre Chiites et Sunnites, l’incompatibilité avec les droits de l’homme, avec la démocratie et la tolérance, la « peur irrationnelle et injustifiée de l’Occident », le « colonialisme islamique », le « racisme arabe », le statut infamant des Juifs et des chrétiens, dhimmis ou morts, la révérence envers la soumission et la servitude, la négation de toutes les religions qui ne sont pas du livre, la haine absolue et assassine des apostats et des athées, le mythe de l’âge d’or andalou, parmi quatorze siècles et trois continents de tyrannie (et bientôt plus, si l’on n'y prend garde), l’irréfragable infériorité de la femme, voilée, lapidée, vendue, la propagation de l’esclavage, les grotesques « tabous : vin, porcs et homosexualité », la superstitieuse, antiscientifique et antihygiénique séparation entre halal et haram, sans oublier à l’occasion du dernier chapitre, le sommet de l’abomination, ou la bassesse de la prosternation, comme vous voudrez, la faiblesse de l’Occident devant l’Islam et sa « trahison des intellectuels ». Car Les Islamistes sont déjà là, rivalisant de « fascisme vert », s’il faut en croire le livre de deux Christophe[16] qui ont réalisé en France une édifiante « enquête sur une guerre secrète ». N’en jetez plus, la cour est pleine d’ordures qui empuantissent l’humanité…
Aucun des points du réquisitoire d’Ibn Warracq n’est jeté au hasard : la connaissance des textes et de l’Histoire est validée par des notes, une bibliographie impressionnante. Et pourtant, « la civilisation islamique est souvent parvenue au sommet de sa splendeur malgré l’Islam 1 et l’Islam 2, et non pas grâce à eux », le 1 étant le Coran, le 2 les hadiths et la charia, le 3 étant « ce que les musulmans réalisent, c’est-à-dire la civilisation islamique », et, à son meilleur, la philosophie, l’art et la littérature.
Il faut dire que, « sans complaisance » aucune pour son sujet, l’essayiste, reprenant à l’épigraphe Renan (« Affranchir le musulman de sa religion est le plus grand service qu’on puisse lui rendre »), s’appuie et avec perspicacité sur des philosophes du libéralisme politique et économique, garants des valeurs universelles de liberté individuelle : John Stuart Mill et Friedrich A. Hayek.
Si nous ne sommes pas religieux, et ce par l’exercice de la raison et de la liberté, nous tolérerons et respecterons les religions paisibles, qui, tout au moins pour cette qualité, et de plus pour leur dimension de spiritualité et de savoir théologique, voire leur nécessité de transcendance, permettent de mériter que nous puissions être religieux. Ainsi Milton usa en 1644 de l’argument théologique pour défendre la liberté de la presse : « Nombreux sont ceux qui blâment la divine Providence d’avoir toléré la transgression d’Adam : bavardages d’insensés ! quand Dieu lui donna la raison, il lui donna la liberté du choix, sinon il n’eût été qu’un Adam artificiel comme on en voit aux marionnettes.[17] » A contrario, et en vertu de la légitime défense des libertés, nous devrons ne pas tolérer l’intolérable des religions tyranniques, auxquelles il faudra bien poser un mors à leurs sanglantes dents. Faut-il se demander si Giovanni di Modenna, peintre de l’Enfer en San Petronio de Bologne, qui vit en 2014 sa fresque menacée d’être détruite par les Musulmans, a eu raison d’y placer un Mahomet, dont l’âme est dépecée du corps par un diable ?
Thierry GuinhutThierry Guinhut : une vie d'écriture et de photographie
[1]Voir : Thoreau : le Journal de la désobéissance civile en question[2] Anne Fournier et Michel Monroy : La Dérive sectaire, PUF, 1999.[3]Voir : Bertrand Russell : De la fumisterie intellectuelle, ou le décapage des religions et de l’Etat[4] Peter Sloterdijk : Colère et temps, Hachette Pluriel, p 110 et 111.[5] Le Coran, traduction André Chouraki, Robert Laffont, 1990, IV, 34 et 15.[6] Le Coran, ibidem, II, 256.[7] Le Coran, ibidem, XVVII, 35.[8] Abdelwahad Medded : La Maladie de l’Islam, Seuil, 2002.[9] Abdelwahad Medded : ibidem, p 219.[10] Le Coran, XVIII, 28-29 ; Chouraqui : « Qui le décide, qu’il adhère ! Qui le décide, qu’il efface ! »[11]Voir : Vérité d’islam et vérités libérales : Philippe d’Iribarne, Elisabeth Schemla, Thilo Sarrazin[12] Peter Sloterdijk : La Folie de Dieu, Maren Sell, 2008, p 96.[13] Pietro Citati : La Lumière de la nuit. Les grands mythes dans l’histoire du monde, L’Arpenteur, Gallimard, 1999.[14] Voir : Salman Rushdie : Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés outragées[15] Ce que l’on retrouve dans le livre de l’historien Maxime Rodinson : Mahomet, Seuil, 1968.[16] Christophe Deloire, Christophe Dubois : Les Islamistes sont déjà là, Albin Michel, 2004.[17] John Milton : Areopagitica pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure, Aubier-Montaigne, 1956, p 163.
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