Recevez tout, ne possédez rien : c’est ainsi que l’on pourrait résumer la règle de saint François. Et surtout n’ayez pas la tentation de posséder ce que vous avez reçu. Sans cesse, reprenez ce travail de dépouillement. Né riche, François a appris la pauvreté des pauvres eux-mêmes. Des enfants, qui ne peuvent vivre sans leurs parents ; des lépreux, ces parias absolus qui, ne pouvant travailler, ne se nourrissent que de ce qu’on leur laisse. La leçon est simple : il n’est pas bon d’être pauvre ou malade - la maladie provoque la souffrance, et François lui-même n’a pas caché à la fin de sa vie qu’il souffrait beaucoup -, mais lorsqu'on est pauvre ou malade, on devient dépendant de l’amour d’autrui. La pauvreté a donc une valeur pédagogique : elle aide à réaliser que l’homme n’est pas autosuffisant, tentation de l’orgueil et de l’égoïsme, mais qu’au contraire il est fait pour aimer et pour être aimé.
La pauvreté de François est donc une pauvreté volontaire ou, tout au moins, acceptée. La pauvreté qui n’est pas volontaire est une grande souffrance ; elle peut détruire ; c’est pour cette raison qu’il faut libérer ceux qui s’en trouvent en quelque sorte les esclaves. François fait toujours passer les « vrais » pauvres, c’est-à-dire les victimes de la misère ou de la maladie, avant lui-même. Et s’il jeûne, c’est d’abord pour partager son pain. Chez le disciple de François, le souci des pauvres est constant. La charité a toujours fait partie de la vie des franciscains, religieux ou laïcs. Dans le malade, victime par excellence puisqu’on est toujours innocent de la maladie que l’on subit, le franciscain reconnaît le Christ souffrant, victime lui aussi.
Mais, pour être volontaire, cette pauvreté ne doit pas non plus devenir une course à la misère dont on voudrait se faire le champion. Saint Bonaventure a dénoncé cette sorte d’expertise de la pauvreté chez certains de ses frères. Dans son testament, François mentionne précisément l’habit qu’il assigne aux frères, un habit rustique, rapiécé autant qu’il le faudra, une tunique de travailleur ou de paysan. Humble, mais suffisante néanmoins. Car la véritable pauvreté n’est pas dans les extrêmes ; la pauvreté du corps n’est qu’un instrument ; la véritable pauvreté est dans l’attitude intérieure qui consiste à recevoir de Dieu, au fil des jours, ce qu’il donne ou ne donne pas, même l’inattendu. Accueilli un jour, rejeté le lendemain. Et ne pas se regarder soi-même, ni regarder ce que l’on a donné. Que donne donc la pauvreté ? Rien, sinon la confiance totale en Dieu. Et la confiance totale en Dieu donne la joie.
Yves Combeau, dominicain, historien de formation et conseiller éditorial de l'émission le Jour du Seigneur