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Une chance inestimable

Par Gjouin @GilbertJouin
Une chance inestimableThéâtre des Bêliers Parisiens14, rue Sainte-Isaure75018 ParisTel : 01 42 62 35 00Métro : Jules Joffrin / Simplon
Une comédie de Fabrice DonnioMise en scène par Arthur Jugnot et David RousselDécor de Sarah BazenneryeCostumes de Cécile MagnanLumières de Denis KoranskyMusique originale de Romain TrouilletAvec Guillaume Bouchède (Gérard de Nerval), Alain Bouzigues (Hitler), Fabrice Donnio (Kerian), Marie Montoya (Cléopâtre)
L’histoire : Imaginez ! Vous êtes sur le point de faire le choix de votre vie… Subitement, le temps s’arrête.Arrivent Adolf Hitler, Cléopâtre et Gérard de Nerval, les vrais, pour vous aider dans votre réflexion.Pourquoi eux ? Pourquoi vous ? Et pourquoi cette moustache ridicule ?
Mon avis : Ovni soit qui mal y panse… qui panse les plaies de l’âme et de l’esprit.Oui, cette pièce est un véritable ovni. De quel esprit tortueux est sortie cette fable-farce prodigieusement farfelue et, en même temps, sujette à réflexion ? Le postulat de départ est on ne peut plus hard : Kerian est sur le point de mettre fin à ses jours quand le temps se suspend à sa place et qu’une force surnaturelle lui envoie trois célèbres suicidés pour essayer de dissuader de passer à l’acte…Dit comme ça, dans l’absolu, on a vu thème plus réjouissant. Or, en dépit de cette base de départ pour le moins morbide, on rit du début à la fin. Et de bon cœur !
D’abord cette salle des Bêliers Parisiens est très agréable. On y voit bien de partout, la scène est large, la salle est comble d’un public plutôt jeune et l’ambiance bon enfant… L’action se déroule dans un décor en camaïeu de bleu, ce qui est apaisant.Mettez-vous à la place d’un pauvre bougre désespéré sur le point d’en finir qui voit soudain surgir dans son salon… Adolf Hitler en personne ! Ça fout un coup. Médusé, il apprend de la bouche même du Führer, qu’il est missionné, au même titre que deux autres ex-suicidés qu’il ne connaît pas, pour prêter assistance à personne en danger. Si ces missi dominici d’autre monde réussissent dans leur entreprise de sauvetage, ils gagnent un point. Au bout de cinq, ils auront droit à être réincarnés… Je n’en dirai pas plus pour préserver la suite et les multiples rebondissements qui vont survenir. Car, notre pauvre Kerian, pas au bout de ses surprises, voit débouler tour à tour Cléopâtre puis Gérard de Nerval. Contrairement à Adolf qui est fondamentalement pour le suicide et se fout royalement de la réincarnation, ces deux là sont décidés à jouer le jeu. D’autant que ce n’est pas leur première mission.
Une chance inestimable
On n’a aucun mal à accepter ce rassemblement incongru. Surtout en raison de l’implication des quatre comédiens. Kerian, Adolf, Cléo et Gégé présentent évidemment, pour notre plus grand plaisir, des personnalités radicalement différentes.Kerian, dans un premier temps complètement dépassé par les événements, craintif et interloqué, commence peu à peu à se rebiffer… Adolf Hitler ? C’est Hitler dans toute sa quintessence ; à peine caricatural. Il est colérique, s’emporte pour un rien, droit dans ses bottes et toujours fidèle à des idées que l’on croit gommées… Cléopâtre, la reine d’Egypte est un tantinet survoltée, franchement obsédée et gentiment nympho. Aussi autoritaire qu’écervelée, on sent quand même que c’est une bonne fille… Gérard de Nerval, c’est le poète. Il aime déclamer, il est sentencieux, légèrement précieux, mais c’est un brave homme soumis hélas à de brèves et violentes hallucinations… Bref, nos trois suicidés historiques, voire hystériques, sont surtout trois grands fêlés. Et leurs affrontements donnent lieu à des scènes et à des échanges vraiment croustillants.
La mise en scène, signée Arthur Jugnot et David Roussel, est alerte et enlevée. Elle est le reflet parfait de l’esprit fantasmagorique et excentrique de la pièce (Ah, cette passe à dix avec Mein Kampf !). Là, il faut souligner la qualité du texte et la folle inventivité de son auteur, Fabrice Donnio (qui interprète Kerian). Non seulement il a su respecter les vérités historiques, mais il a surtout évité de tomber dans la facilité en nous abreuvant d’anachronismes. J’ai été très attentif, il n’y en a aucun. C’est tout à son honneur. Hormis un ou deux passages que j’ai trouvés quelque peu excessifs, comme cette histoire de Blanche Neige totalement loufoque revisitée par Kerian (ça, c’était un peu facile et bien en dessous du reste), le livret est d’une haute tenue et son trio infernal est intelligemment dessiné.
Une chance inestimable
Parlons-en de ce trio… Je les ai aimés tous les trois, chacun(e) dans son registre. Marie Montoya, fait du Marie Montoya. C’est ce qu’on attend d’elle. Ses intonations et ses mimiques sont irrésistibles. Elle a une présence comique pharaonique, avec un art très personnel à allier à la fois une énergie trépidante, quasi cartoonesque, et une finesse de jeu très subtile… Guillaume Bouchède, que j’avais déjà fortement apprécié dans trois pièces (Vive Bouchon, Amour et chipolatas et surtout Mission Florimont) est très à l’aise dans ce registre mi-sérieux, mi-burlesque. Il n’a aucune crainte du ridicule tout en gardant son quant-à-soi (Ah, cette parodie d’une célèbre chanteuse suicidée !). Il est vraiment épatant dans cette composition et révèle une fois de plus un éventail de jeu très large et très juste… Et puis il y a Alain Bouzigues. Sa prestation dans le rôle d’Hitler est époustouflante. C’est une création qui compte dans une carrière. Il est crédible de bout en bout, impeccable dans sa gestuelle comme dans son ton, formidable dans ses colères, précis dans ses apartés. Même quand il ne dit rien, qu’il ne participe pas à l’action, il faut le regarder tant il incarne le personnage. Pour moi, il est au niveau de Charlot dans Le Dictateur ou de Francis Blanche en Papa Schulz dans Babette s’en va-t-en guerre : fou, inquiétant, pathétique et désopilant.
Il y aurait encore beaucoup de choses à mettre en avant dans cette pièce dont le thème paraît, a priori, suicidaire. L’humour noir, quand il est aussi bien servi, nous fait voir la vie en rose.Et, n’oublions pas : dans « mourir », il y a « rire »...
Gilbert « Critikator » Jouin

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