Changement de location pour le deuxième soir du Stellar Swamp : cette fois-ci, la salle est l’Atelier 210, un superbe et vieux cinéma réaménagé en salle de concert, avec des sièges et un escalier en spirale qui mène à plusieurs étages. Au deuxième, il y a le backstage, où les musiciens viennent se reposer un moment après avoir essayer le son sur scène. Julie De Drée s’occupe de la salle et collabore avec les Moaning Cities pour l’organisation du festival. Elle offre un cours improvisé de billard belge, constitué par dix boules (cinq rouges et cinq blanches) réparties en camps opposés, avec un trou de chaque côté, le but étant de mettre toutes ses boules dans le trou de l’opposant. Le terrain de jeu à la particularité de présenter plusieurs obstacles, ce qui rend la partie moins évidente. Collaborateurs et musiciens s’essaient tour à tour tandis que tout est mis en place pour la soirée : les lumières, le son, la décoration et le bar.
Les locaux de Yokaï ont pour mission d’inaugurer la fête, avec leur jazz expérimental teinté de kraut rock et de rythmes africains et complexes, parfois avec des touches de spaghetti western. Deux batteries, deux claviers, une basse, un saxophone et une clarinette conforment l’instrumentation du groupe, qui n’est pas sans évoquer le Tortoise le plus déjanté, ainsi que les envolées psychotropes et jazzy d’Isotope 217, le projet Massada de John Zorn et Faust, le groupe allemand des années 1970.
Les belges d’Alpha Whale poursuivent la soirée avec leurs mélodies « cool surf », réminiscences de la pop psyché des années 1960, en s’approchant du son des Allah-Las. La salle se remplit et l’atmosphère est dansante : ces chansons transpirent la sympathie. Les italiens de Go!zilla montent ensuite sur scène, en mitraillant des riffs punk et électriques. Leurs chansons sont frénétiques et évoquent le meilleur de Thee Oh Sees, réussissant à combiner force et vitesse à la perfection.
Les berlinois de Camera prennent ensuite possession de la scène avec le concert le plus impressionnant de la soirée (et un des meilleurs du festival). Le trio est constitué par un bassiste, un claviériste et un batteur démolissant qui joue debout. La kraut la plus intense et expérimentale est mise en œuvre, atteignant une force rare et des états profonds de transe. Dj Pomponette monte sur scène pour improviser des voix, ainsi que le clarinettiste de Yokai. Les couches sonores se superposent dans un magma vertigineux et envoutant. Par moments, les morceaux organiques de Camera évoluent selon une logique qui leur est propre, tout en rappelant plusieurs choses à la fois : les expérimentations de Sonic Youth avec Jim O’rourke ou Merzbow, immortalisées dans la série d’Eps SYR (Sonic Youth Records), ainsi que le premier Stereolab, aux claviers hypnotiques et répétitifs, voire encore certains passages dissonants, ambiants et bruitistes de Gastr del Sol.
Les allemands de Camera vont très loin avec leur musique, laquelle est complexe et très rythmique. Le dernier morceau est une longue performance noise, dans laquelle le clavier envoie des samples de voix, le batteur fait du bruit avec un bout de bois muni d’un fil de fer et des micros, dont les sons sont ensuite passés à travers divers effets. Le bassiste, quant à lui, génère une masse considérable de feedback, grâce à une distorsion épaisse et résonante. Cette fin apocalyptique, qui privilégie les arythmies et la destruction du concept de chanson, n’autorise aucun rappel. Le groupe sort par les rideaux à l’arrière de la scène, pour ensuite faufiler entre ceux-ci un long tube blanc, à la fois périscope et symbole phallique. C’est certainement le concert le plus radical et arty du festival.
Le duo lyonnais de Kaumwald est chargé de clôturer les concerts de ce deuxième jour de festival avec des morceaux électroniques. Sans ordinateur et munis de diverses machines, Clément Vercelletto et Ernest Bergez, revendiquent une attitude de bidouilleurs où le son est produit grâce à l’interaction des humains avec la technologie, grâce à des manipulations de rythmes et de textures. Le duo français s’inspire de la musique industrielle primitive (Scorn, Throbbing Gristle) et de la techno minimale pour créer un son captivant. La soirée finit avec Dj Shazzula, qui mixe du rock et de la psyché (même Silver Apples font leur apparition sur les platines) jusqu’à quatre heures du matin.
Le bilan du festival est plus que positif – et encourageant pour assister à une nouvelle édition l’année prochaine. Stellar Swamp a su réunir des talents locaux et européens autour du thème de la musique psychédélique, entendue au sens large, avec ses versants kraut, stoner, électronique ou jazz. L’ambiance de l’événement ne pouvait être plus accueillante et chaleureuse. L’objectif de créer un lieu de rencontres entre musiciens et public a été largement atteint, avec une atmosphère de communauté et d’interaction. Cela est accompagné par la passionnante bohème bruxelloise, propice au couch surfing dans de très beaux et énormes appartements habités par des hôtes formidables.