C’est l’hiver, le temps est clément, la neige recouvre le paysage et ce blanc immaculé
Les mangeoires sont une de ses sources de bonheur. Son père en a installé un peu partout. Comme ça, mademoiselle les observe, peu importe où elle se tient. Aussi bien de l’intérieur de la maison des zones diverses du vaste terrain.
Ce matin-là, la luminosité est presque aveuglante. Dès son petit déjeuner terminé, Ariane enfile ses habits et file respirer le grand air. Comme toujours, elle n’aspire qu’à rendre une visite à ses camarades qui sont des gloutons rigolos. Sa maman la surveille de la grande vitrine du salon. De toute manière, l’endroit est clôturé. Le seul moyen de ne pas s’inquiéter, car il est impensable d’interdire à sa fille unique de jouer dehors. Alors qu’elle n’aperçoit plus son exploratrice, la mère va à la porte arrière et lui crie. Aucune réponse. Elle passe une veste à la hâte et se rue dans la cour.
Sa fillette de cinq ans gisait en larmes au pied d’un gigantesque chêne qui dominait leur domaine.
– Ariane, qu’est-ce qui se passe ?
– Y’a… y’a plus de place.
– Plus de place ! Plus de place, pour quoi ?
– J’suis… p… pas assez grande pour en mettre d’autres.
– Je ne comprends pas de quoi tu parles, ma chérie… Viens… On va essuyer ton visage et tu me raconteras.
– Mais lui… On va le mettre où ? s’enquit la gamine en ouvrant les doigts.
Une mésange morte apparut dans les mitaines.
– Tu vas attraper des microbes… mets-le par terre.
L’enfant redémarra sa coulée de chagrin.
– Si je l’abandonne, il ne pourra pas aller au ciel trouver ses amies.
– Donne-le-moi, on va te nettoyer et tu m’expliqueras.
Ariane raconta que souvent elle tombait sur des oiseaux sur le sol en avant des fenêtres. Certains bougeaient, d’autres presque plus. Pour les aider, elle les ramassait doucement, les déposait sur une branche du gros arbre. La mère jugea l’idée étrange, mais la pria de continuer. S’il était blessé et qu’il demeurait là, un chat pouvait passer et le dévorer. Dans les airs, il pouvait dormir, se reposer et quand il se sentirait mieux, il s’envolerait, retrouverait son chemin et reviendrait manger des graines.
Quel ange que sa petite princesse !
La maman lui nettoya le visage en tentant de la rassurer. Puis, elles s’habillèrent pour aller examiner le chêne ou du moins, la partie accessible à la samaritaine. La mère n’osait pas dire que la mésange était morte et que la sauver n’était plus envisageable.
Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir un nombre important de dépouilles sur les branches les plus basses ! Ariane avait composé un cimetière suspendu. Comment faire pour ne pas amplifier son chagrin ? Cette fois, les mots devraient être bien choisis pour ne pas la traumatiser.
À fouiller dans ses affaires, une boîte qu’elles décorèrent ensemble suffit pour accueillir le volatile. Avec des mots simples, la maman expliqua qu’il retrouverait son chemin et ses camarades.
Discrètement, le père soulagea l’arbre de ses pensionnaires puis il s’équipa d’une magnifique collection de caissettes en carton qu’il offrit à sa fille. Il prétendit que ces contenants étaient magiques et qu’ainsi, les oiseaux pourraient dormir tranquille.
La mère se procura des stores translucides pour voir dehors, mais surtout pour créer des surfaces avec moins de reflets. Ce qui diminua de beaucoup les accidents mortels chez leurs visiteurs aériens. Et tout le monde s’entendit pour qu’Ariane prévienne ses parents si elle trouvait un blessé.
L’enfant recommença ses escapades, puis elle finit par grimper à l’arbre majestueux.
L’été, on peut l’apercevoir, bien installée sur une branche, avec des graines dans les mains et d’habiles chapardeurs qui l’en soulagent sans crainte.
Lolita Leblanc
Notice biographique :
Native de Montréal, Lolita Leblanc est l’aînée d’une famille de quatre enfants. Depuis l’âge de trois ans, elle habite le
Son premier roman a paru en octobre 2010 : La rédemption de l’ange, aux Éditions JKA.