Je ne saurais dire si le secret élève le normal au rang de l'extraordinaire comme il le prétend p.156 ... le jeu de pistes amoureux avec lequel il titille le lecteur n'est pas très nouveau.
Il n'empêche que c'est bien écrit et que cela se lit avec plaisir, même si le mode opératoire ressemble encore à celui d'un auteur comme Eric-Emmanuel Schmitt. Après tout Nicolas Barreau a bien raison de creuser ce sillon puisque cela lui réussit.
Tu me trouveras au bout du monde a été publié en Allemagne en 2008 avant le Sourire des femmes, qui connut en France un succès phénoménal. Rien d'étonnant donc à ce que le style narratif y soit un peu moins enlevé. Notre auteur secret n'avait pas encore terminé de fourbir ses armes.
Il connaissait déjà manifestement très bien la capitale parisienne. C'est vrai que l'hôtel des Marronniers de la rue Jacob est un vrai bijou et que déjeuner au restaurant du Train bleu est un moment d'exception. Le livre fourmille de références à des lieux qui se situent dans le 6ème arrondissement, qui est le quartier de l'édition. Tout ceci est logique.
Il se répète un peu, passant encore une fois devant le Procope, présent dans le Sourire des femmes. On a parfois l'impression que Nicolas règle des comptes, notamment quand il se plaint que le hamburger du Café Marly, 93, rue de Rivoli, ne soit pas "terrible". Admettons. Je suis sûre que cet écrivain-éditeur aime la bonne chair.
Je n'ai jamais gouté The new Marly cheeseburger, bacon iberico de ce restaurant mais je pense que la critique est sévère. Comment imaginer alors que le restaurant célébré par Gilles Pudlowski sur son blog, Les Pieds dans le plat, comme étant une des perles méconnues du groupe Costes ne soit pas à la hauteur de sa réputation ? Ce qui ne fait aucun doute c'est qu'il offre une des plus belles vues de Paris (en l'occurrence sur la pyramide du Louvre).
Ce même Pudlo chante la douceur suave du thé des poètes servie avec délicatesse au Shanghai Café de la Maison de la Chine, 76 rue Bonaparte dont Nicolas Barreau apprécie le coté minimaliste. Voilà les deux hommes sur la même longueur d'ondes.
D'habitude les lieux sont inventés (même s'ils sont inspirés de la réalité) et l'auteur avance à visage découvert. Ici c'est l'inverse et le roman prend souvent des allures de guide touristique. C'est à se demander quel est l'intérêt de l'auteur ?
Coté hôtellerie nous valsons entre l'Hôtel Duc de Saint-Simon, au 14 de la rue du même nom, dans le 7ème arrondissement et le Bélier du 13 rue des Beaux-Arts, dans le 6ème. Les deux endroits sont historiques et exceptionnels.
Ce dernier faisait partie à l'origine de la résidence de La Reine Margot avant d’être transformé en un Pavillon d'Amour au début du 19e siècle. Oscar Wilde y vécut, selon ses termes "au dessus de ses moyens" jusqu’à sa mort. Beaucoup de célébrités y séjournèrent comme Dali, Mistinguett, Frank Sinatra, Elizabeth Taylor et Richard Burton, et même la Princesse Grace.
Célèbre dans le monde entier pour son charme discret et son glamour, cette institution a été rénovée en 2002 par le légendaire designer Jacques Garcia, avec piscine privée nichée sous les voutes. Il ne s'appelle plus le Bélier (Monsieur Barreau il vous faudra mettre vos fiches à jour) mais somptueusement l'Hotel pour la partie chambres, et pour ses tables le Restaurant, où officie le très talentueux chef Julien Montbabut.
Le héros, Jean-Luc Champollion, jeune galeriste de talent et Don Juan à ses heures, arpente le 6 ème arrondissement. Il va prendre son petit déjeuner chez Laduée Bonaparte. Manifestement il ne connaît que les endroits chics. Si j'avais l'honneur de le rencontrer (j'en doute puisqu'il joue à cache cache avec son lectorat ... Je suis amusée moi-même de cela hier soir à la Nuit du livre à l'Odéon qui rassemblait le gratin de l'édition et je me dis que j'y ai peut être rencontré cet homme) c'est au Café Bouillu, 9 rue de l'Ecole de Médecine, que je l'entraînerais.Il faudra tout de même qu'il fasse auparavant amende honorable. Je le trouve gentiment misogyne : ce qu'il y a de fantastique avec les chiens, c'est qu'ils vous pardonnent toujours et ne se vexent jamais. Cela les distingue des chats, et de presque toutes les femmes. (P. 112) J'ose espérer que lui-même ne prendra pas la mouche ...Il aime manifestement les jeux de faux-semblants et est passé maitre dans l'art de la dissimulation. Il connait bien aussi l'âme humaine : les femmes sont très sensibles aux mots; les hommes, aux images. (P.163) Il est exact que l'homme aime regarder alors que la femme apprécie qu'on lui parle.
L'idylle qu'il nous raconte évoque un moment Edmond Rostand qui écrivit des lettres sublimes pour séduire Roxane par personne interposée. On élabore des réponses sur l'origine des courriels qui inonde la boite mails du galeriste presque au même moment que le personnage principal. On pense comme lui que sa correspondante mystérieuse est Soleil, une artiste tourmentée ou peut être après tout son meilleur ami qui lui aurait joué une farce. Il convoque aussi le mythe de la reine grenouille. On pense à une amoureuse transie (et probablement laide) ou à un amour de jeunesse ...
Le suspense est bien entretenu, c'est là le talent de l'auteur. L'amoureux est accroché à son ordinateur, qu'il désigne fort justement comme la machine à miracles. A ce pling annonciateur de bonnes (ou mauvaises) nouvelles, mais au moins à du neuf.
Il aura échangé plusieurs centaines de mails et construit des châteaux en Espagne ... jusqu'à ce que la citation en exergue de Christian Morgenstren s'accomplisse : on voit souvent quelque chose cent fois, mille fois, avant de le voir vraiment.
Tu me trouveras au bout du monde de Nicolas Barreau, traduction de Sabine Wyckaert-Fetick, chez Héloïse d'Ormesson, en librairie depuis le 5 février 2015.