d'après CLAIR DE LUNE (1882a) de Maupassant
J’ai un amant.
Tu comprends ?
Tu sais comme nous cédons,
Comme nous tombons
Et si rapidement !
Il suffit d’un rien, d’un attendrissement.
Tu as constaté comme j’ai aimé mon mari
Mais lui, n’avait rien compris
À mon cœur de femme,
Aux mélancolies qui passaient dans mon âme.
J’aurais voulu qu’il me saisisse dans ses bras,
Que de tendres baisers il m’embrassât
Comme autant de confidences muettes.
J’aurais souhaité qu’il eût des faiblesses,
Qu’il eût besoin de moi, de mes caresses.
Je suis ainsi faite.
Sans doute me trouves-tu bête !
Depuis un mois que nous voyagions
Au trot des quatre chevaux de la diligence
Mon mari, par son indifférence,
A éteint mes exaltations.
Il a paralysé ma joie.
Quand j’admirais les villages, les bois,
Les rivières, les vallées,
Je battais des mains, emballée :
-« Comme c’est beau, Robert, embrasse-moi ! »
Mais lui, avec un sourire froid,
Haussait les épaules :
-« Ce n’est pas une raison, Paule,
Pour s’embrasser
Chaque fois qu’un paysage vous séduit. »
J’en étais glacée.
J’avais en moi des bouillonnements de poésie
Qu’il m’empêchait
D’exprimer.
Un soir, dans notre hôtel de Fluelen,
Robert, souffrant de migraine,
Monta se coucher juste après le diner.
Moi, je suis allée me promener.
Il faisait une nuit de conte de fées :
Les grandes montagnes coiffées
De neige d’argent,
L’air doux, pénétrant…
Oh ! Comme mon cœur est vibrant
En de tels moments !
J’étais assise sur l’herbe, regardant
Le lac immense et luisant.
Il me venait un insatiable besoin d’amour,
Une révolte contre les mornes atours
Et la platitude de toute ma vie.
N’aurais-je jamais la bonne fortune
De rêver au bras d’un cher et tendre ami
Sur une berge baignée de lune ?
Ne sentirais-je jamais descendre en moi
Des baisers doux comme la soie
Qu’on échange dans ces nuits
Créées par Dieu pour les tendresses ?
Je sanglotais
Quand j’entendis un bruit
Dans l’ombre de ce soir d’été ?
J’étais éperdue.
Un homme se tenait debout derrière moi.
Mais je l’ai très vite reconnu.
Nous l’avions souvent croisé
Dans la journée et j’avais remarqué
Qu’à chaque fois
Ses yeux m’avaient suivie.
J’étais tellement saisie,
Que je ne sus quoi penser.
Puis nous nous mîmes à bavarder.
Tout ce que je ressentais,
À merveille il le comprenait.
Ce qui me faisait frissonner,
Il le saisissait
Aussi bien que moi,
Mieux que moi.
Puis il m’a dit des vers de Musset.
Je suffoquais d’une émotion embarrassée.
Il me semblait que le lac, les monts, le chemin,
Chantaient ineffablement
De mélodieux refrains.
…Et cela se fit, je ne sais comment,
Dans une sorte d’hallucination.
Pourtant la pensée
De tromper
Mon mari ne m’avait jamais effleurée.
Or, cela s’est opéré
Sans amour, sans passion, sans raison,
Sans rien. Il y avait seulement
Un beau clair de lune sur le lac Léman.
Tu vois, ma chérie, bien souvent,
Ce n’est pas un homme que nous aimons,
Mais l’amour. Ce soir-là, le clair de lune
Fut mon amant.
Adélaïde de Rhune